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il n’avait point recréé Dieu. Ce n’était point une épopée divine qu’il pouvait produire, mais une épopée humaine. Ce n’était point les combats et les œuvres du Seigneur qu’il pouvait chanter, mais les tentations et le salut de l’âme. Au temps du Christ jaillissaient les poèmes cosmogoniques, au temps de Milton jaillissaient les confessions psychologiques. Au temps du Christ, chaque imagination produisait une hiérarchie d’êtres surnaturels et une histoire du monde ; au temps de Milton, chaque cœur racontait la suite de ses tressaillemens et l’histoire de la grâce. L’érudition et la réflexion jetèrent Milton dans un poème métaphysique qui n’était point de son siècle, pendant que l’inspiration et l’ignorance révélaient à Bunyan le récit psychologique qui convenait à son siècle, et le génie du grand homme se trouva plus faible que la naïveté du chaudronnier.

C’est que son poème, ayant supprimé l’illusion lyrique, laisse entrer l’examen critique. Libres d’enthousiasme, nous jugeons ses personnages ; nous exigeons qu’ils soient vivans, réels, complets, d’accord avec eux-mêmes, comme ceux d’un roman ou d’un drame. N’écoutant plus des odes, nous voulons voir des objets et des âmes : nous demandons qu’Ève et Adam agissent et sentent conformément à leur nature primitive, que Dieu, Satan et le Messie agissent et sentent conformément à leur nature surhumaine. À cette tâche, Shakspeare suffirait à peine ; Milton, logicien et raisonneur, y succombe. Il fait des discours corrects, solennels, et ne fait rien de plus ; ses personnages sont des harangues, et dans leurs sentimens on ne trouve que des monceaux de puérilités et de contradictions.

Ève et Adam, le premier couple ! J’approche, et je crois trouver l’Ève et l’Adam de Raphaël, imités, disent les biographes, par Milton, superbes enfans, vigoureux et voluptueux, nus sous la lumière, immobiles et occupés devant les grands paysages, l’œil luisant et vague, sans plus de pensée que le taureau ou la cavale couchés sur l’herbe auprès d’eux. J’écoute, et j’entends un ménage anglais, deux raisonneurs du temps, le colonel Hutchinson et sa femme. Bon Dieu ! habillez-les bien vite. Des gens si cultivés auraient inventé avant toute chose les culottes et la pudeur. Quels dialogues ! Des dissertations achevées par des gracieusetés, des sermons réciproques terminés par des révérences. Quelles révérences ! Des complimens philosophiques et des sourires moraux. « Je cédai, dit Ève, et depuis ce temps je sens combien la beauté est surpassée par la grâce virile et par la sagesse, qui seule est véritablement belle ! » Cher et savant poète, vous eussiez été satisfait si quelqu’une de vos trois femmes, bonne écolière, vous eût débité en manière de conclusion cette solide maxime théorique. Elles vous l’ont débitée ; tenez, voici une scène de votre ménage : « Ainsi dit la mère du genre humain, et avec des regards pleins d’un charme conjugal non repoussé dans