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passion implacable et toute-puissante, la sublimité de l’exaltation religieuse et lyrique, on ne reconnaît point à ces traits un homme né pour expliquer, persuader et prouver. La scolastique et la grossièreté du temps ont émoussé ou rouillé sa logique. L’imagination et l’enthousiasme l’ont emporté et enchaîné dans les métaphores. Ainsi égaré ou gâté, il n’a pas pu produire d’œuvre parfaite ; il n’a écrit que des pamphlets utiles, commandés par l’intérêt pratique et la haine présente, et de beaux morceaux isolés, inspirés par la rencontre d’une grande idée et par l’essor momentané du génie. Pourtant, dans ces débris abandonnés, l’homme apparaît tout entier. L’esprit systématique et lyrique se peint dans le pamphlet comme dans le poème ; la facilité d’embrasser des ensembles et d’en être ébranlé reste égale en Milton dans ses deux carrières, et vous allez voir dans le Paradis et dans le Comus ce que vous avez prévu dans le Traité de la Réforme et dans les Remarques sur l’Opposant.


III. — LE POÈTE.

« Celui, dit Milton, qui connaît la vraie nature de la poésie découvre bientôt quelles méprisables créatures sont les rimeurs vulgaires, et quel religieux, quel glorieux, quel magnifique usage on peut faire de la poésie dans les choses divines et humaines… » — « Elle est un don inspiré de Dieu, rarement accordé, et cependant accordé à quelques-uns dans chaque nation, pouvoir placé à côté de la chaire pour planter et nourrir en un grand peuple les semences de la vertu et de l’honnêteté publique, pour apaiser les troubles de l’âme et remettre l’équilibre dans les émotions, pour célébrer en hautes et glorieuses hymnes le trône et le cortège de la toute-puissance de Dieu, pour chanter les victorieuses agonies des martyrs et des saints, les actions et les triomphes des justes et pieuses natures qui combattent vaillamment par la foi contre les ennemis du Christ. » Milton a fait comme il promettait. Les poèmes profanes qu’il fit avant les guerres civiles sont l’éloge de la vertu ; les poèmes sacrés qu’il fit après les guerres civiles sont l’éloge de la religion. Sa première œuvre est une ode sur la naissance du Christ. Son poème de l’Allegro ne célèbre que les joies poétiques de l’âme. Il a partout loué la piété, l’amour chaste, la générosité, la force héroïque. Ce ne fut point par scrupule, mais par nature ; le sublime était son domaine. Son besoin et sa faculté dominante furent d’apercevoir la grandeur ; il se donna la joie d’admirer, comme Shakspeare se donna la joie de créer, comme Swift se donna la joie de détruire, comme Spenser se donna la joie de rêver.

Comment admirer ? Il faut sortir de ce bas monde, car ce qui est réel est petit, et ce qui est familier paraît plat. Reculons les person-