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de la plume, comme les côtes-de-fer de l’épée, pied à pied, avec une rancune concentrée et une obstination farouche. Les évêques et le roi payaient alors onze années de despotisme. Chacun se rappelait les bannissemens, les confiscations, les supplices, la loi violée systématiquement et sans relâche, la liberté du sujet assiégée par un complot soutenu, l’idolâtrie épiscopale imposée aux consciences chrétiennes, les prédicateurs fidèles chassés dans les déserts de l’Amérique ou livrés au bourreau et au pilori[1]. De tels souvenirs, tombant sur des âmes puissantes, imprimèrent en elles des haines inexpiables, et les écrits de Milton témoignent d’un acharnement que nous ne connaissons plus. L’impression que laisse son Iconoclaste[2] est accablante. Phrase par phrase, durement, amèrement, le roi est réfuté et accusé jusqu’au bout, sans que l’accusation fléchisse une seule minute, sans qu’on accorde à l’accusé la moindre bonne intention, la moindre excuse, la moindre apparence de justice, sans que l’accusateur s’écarte et se repose un instant dans des idées générales. C’est un combat corps à corps, où tout mot porte coup, prolongé, obstiné, sans élan, sans faiblesse, d’une inimitié âpre et fixe, où l’on ne songe qu’à blesser fort et à tuer sûrement. Contre les évêques, qui étaient vivans et puissans, sa haine s’épancha

  1. Je transcris un de ces griefs et une de ces plaintes (*). Le lecteur jugera par la grandeur des outrages de la grandeur des ressentimens :

    « L’humble pétition du docteur Alexandre Leighton, prisonnier dans la Flotte.

    « Il remontre humblement :

    « Que le 17 février 1630 il fut appréhendé, revenant du sermon, par un mandat de la haute commission, et traîné le long des rues avec des haches et des bâtons jusqu’à la prison de Londres. — Que le geôlier de Newgate, étant appelé, lui mit les fers et l’emmena de haute force dans un trou à chien, infect et tombant en ruines, plein de rats et de souris, n’ayant de jour que par un petit grillage, le toit étant effondré, de sorte que la pluie et la neige battaient sur lui, n’ayant point de lit, ni de place pour faire du feu, hormis les ruines d’une vieille cheminée qui fumait : dans ce lamentable endroit, il fut enfermé environ quinze semaines, personne n’ayant permission de venir le voir, jusqu’à ce qu’enfin sa femme seule fut admise. — Que le quatrième jour après son emprisonnement, le poursuivant, avec une grande multitude, vint dans sa maison pour chercher des livres de jésuites, et traita sa femme d’une façon si barbare et si inhumaine qu’il a honte de la raconter, qu’ils dépouillèrent toutes les chambres et toutes les personnes, portant un pistolet sur la poitrine d’un enfant de cinq ans et le menaçant de le tuer s’il ne découvrait les livres… — Que pour lui il fut malade, et, dans l’opinion de quatre médecins, empoisonné, parce que tous ses cheveux et sa peau tombèrent. — Qu’au plus fort de cette maladie la cruelle sentence fut prononcée contre lui et exécutée le 26 novembre, où il reçut sur son dos nu trente-six coups d’une corde à trois brins, ses mains étant liées à un poteau. — Qu’il fut debout près de deux heures au pilori par le froid et par la neige, puis marqué d’un fer rouge au visage, le nez fendu et les oreilles coupées. Qu’après cela il fut emmené par eau à la Flotte et enfermé dans une chambre telle qu’il y fut toujours malade, et au bout de huit ans jeté dans la prison commune. » Il avait soixante-douze ans.

    (*) Neal, History of the Puritans, II, 19.

  2. Réponse au Portrait royal, ouvrage attribué au roi, en faveur du roi.