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chaises craquent quand on le pose, et celui qui l’a manié une heure en a moins mal à la tête qu’aux bras. Encore faut-il songer que l’auteur fut singulièrement lettré, élégant, voyageur, philosophe, homme du monde pour son temps. Je pense involontairement aux portraits des théologiens du siècle, âpres figures enfoncées dans l’acier par le dur burin des maîtres, dont le front géométrique et les yeux fixes se détachent avec un relief violent hors d’un panneau de chêne noir. Je les compare aux visages modernes, où les lignes fines et complexes semblent frissonner sous le contact changeant de sensations ébauchées et d’idées innombrables. J’essaie de me figurer la lourde éducation latine, les exercices physiques, les rudes traitemens, les idées rares, les dogmes imposés, qui occupaient, opprimaient, fortifiaient, endurcissaient autrefois la jeunesse, et je crois voir un ossuaire de mégathériums et de mastodontes reconstruits par Cuvier.

La race des vivans a changé. Notre esprit fléchit aujourd’hui sous l’idée de cette grandeur, de cette barbarie, et nous découvrons que la barbarie fut alors la cause de la grandeur. Comme autrefois, dans la vase primitive et sous le dôme des fougères colossales, on vit les monstres pesans tordre péniblement leurs croupes écailleuses et de leurs crocs informes s’arracher des pans de chair, nous apercevons aujourd’hui à distance, du haut de la civilisation sereine, les batailles des théologiens qui, cuirassés de syllogismes, hérissés de textes, se couvraient d’ordures et travaillaient à se dévorer.

Au premier rang combattit Milton, prédestiné à la barbarie et à la grandeur par sa nature personnelle et par les mœurs environnantes, capable de manifester en haut relief la logique, le style et l’esprit du siècle. C’est la vie des salons qui a dégrossi les hommes : il a fallu la société des dames, le manque d’intérêts sérieux, l’oisiveté, la vanité, la sécurité, pour mettre en honneur l’élégance, l’urbanité, la plaisanterie fine et légère, pour enseigner le désir de plaire, la crainte d’ennuyer, la parfaite clarté, la correction achevée, l’art des transitions insensibles et des ménagemens délicats, le goût des images convenables, de l’aisance continue et de la diversité choisie. Ne cherchez dans Milton rien de pareil. La scolastique n’est pas loin ; elle pèse encore sur ceux qui la détruisent. Sous cette armure séculaire, la discussion marche pédantesquement, à pas comptés. On commence par poser sa thèse, et Milton écrit en grosses lettres, en tête de son Traité du Divorce, la proposition qu’il va démontrer : « Qu’une mauvaise disposition, incapacité ou contrariété d’esprit, provenant d’une cause non variable en nature, empêchant et devant probablement empêcher toujours les bienfaits principaux de la so-

    remonstrant, — Doctrine and discipline of Divorce, — Tetrachordon, — Tractate of Education, — Areopagitica, — Tenure of Kings nnd Magistrates, — Iconoclastes, — History of Britain, — Thesaurus linguæ latinæ, — History of Moscovy, — De Logicâ Arte, etc.