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certainement dans l’homme, qui est à la fois l’image et la gloire de Dieu, elle doit être, quoique communément on ne pense pas ainsi, un vice bien plus déshonorant et bien plus infâme. » Il pensa « que toute âme noble et libre doit être de naissance et sans serment un chevalier » pour la pratique et la défense de la chasteté, et il porta sa virginité dans le mariage[1]. Aux endroits les plus forts de ses traités les plus libres, il loua la vertu en homme qui l’exerce ; il fut partout moraliste en même temps que révolutionnaire, et ne réclama l’indépendance qu’au nom du devoir et du droit. Lorsqu’il justifia le meurtre de Charles Ier, il consacra la hache et regarda l’échafaud comme un autel ; il fit de cette exécution le commencement d’une ère sainte, et appela ses concitoyens à la pratique de toute perfection : « Les deux plus grandes pestes de la vie humaine et les plus hostiles à la vertu, la tyrannie et la superstition. Dieu vous en a affranchis les premiers des hommes ; il vous a inspiré assez de grandeur d’âme pour juger d’un jugement illustre votre roi prisonnier vaincu par vos armes, pour le condamner et le punir, les premiers des mortels. Après une action si glorieuse, vous ne devez penser ni faire rien de bas ni de petit, rien qui ne soit grand et élevé. Pour atteindre cette gloire, la seule voie est de montrer que, comme vous avez vaincu vos ennemis par la guerre, de même vous pouvez dans la paix, plus courageusement que tous les autres hommes, abattre l’ambition, l’avarice, le luxe, tous les vices qui corrompent la fortune prospère et tiennent subjugués le reste des mortels, — et que vous avez pour conserver la liberté autant de modération, de tempérance et de justice que vous avez eu de valeur pour repousser la servitude. » On voit que chez lui la religion apparaît toujours en même temps que la vertu : elle la couronne parce qu’elle l’engendre. Elle le consola et l’occupa jusqu’au bout par la pensée de Dieu, du salut et de l’éternité. Toute poétique et protestante, elle le promena dans le ciel sublime, parmi les visions de saint Jean et les dogmes calvinistes de la damnation, du péché et de la grâce. Après lui avoir inspiré des in-folios de dialectique enthousiaste, elle lui inspira des épopées d’exaltation raisonneuse, et manifesta son caractère et son génie en offrant une matière à sa logique, à sa force, à son imagination et à sa grandeur.


II. — LE PROSATEUR.

J’ai sous les yeux le redoutable volume où, quelque temps après la mort de Milton, on a rassemblé sa prose[2]. Quel livre ! Les

  1. Voir passim son Traité du Divorce, qui est transparent.
  2. Voici les titres des principaux écrits en prose de Milton : History of Reformation, — the Reason of Church government urged against prelacy, — Animadversions upon the