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terviennent pas, l’histoire n’a pas à s’occuper de pareilles tentatives. Les contemporains peuvent applaudir, la postérité n’en sait rien, n’en veut rien savoir.

Ceux qui cherchent dans le paysage le portrait d’un coin de bois, d’un pré, d’une rivière ou d’une colline, croient volontiers qu’il est impossible de concilier l’imitation et l’expression. Ils s’imaginent que voir et penser sont deux actes contradictoires; ils oublient que l’impression produite en nous par les choses est d’autant plus vive, d’autant plus profonde, que nos facultés morales appartiennent à un ordre plus élevé. Eh bien! pourquoi ceux qui sentent vivement, ceux qui comprennent mieux et plus vite que la foule ne traduiraient-ils pas sur la toile ce qu’ils ont vu aussi fidèlement que les hommes doués de facultés vulgaires? C’est une erreur accréditée, je le sais bien, mais dont le crédit ne m’inspire aucun respect. Ceux qui vivent sans penser ne copient pas mieux que ceux qui pensent après avoir vu, mais ils copient autrement, je le reconnais volontiers. Ils tâchent de reproduire tout ce que leurs yeux ont aperçu, tandis que les peintres habitués à contempler tour à tour ce qui est devant eux et ce qui est en eux choisissent dans la nature les parties qui intéressent et négligent les parties sans importance. Est-ce donc là un signe d’infériorité? On ne s’étonnera pas que j’en doute. Les Hollandais, qui ont excellé dans la représentation des plantes et des animaux, ne se classent pas en raison de leur exactitude, mais en raison de l’intérêt qu’ils ont su mettre dans leurs ouvrages. S’il en était autrement, la photographie dominerait tous les maîtres, et tout espoir de lutter avec elle serait insensé.

Si la photographie domine tous les maîtres, si les peintres sont d’autant plus habiles qu’ils se rapprochent davantage de cette représentation impersonnelle de la nature, l’éducation des paysagistes ne doit plus avoir qu’un seul but : augmenter la puissance du regard. Quant à la docilité de la main, c’est quelque chose sans doute; la longueur des phalanges, la délicatesse du toucher, ne sont pas sans importance, mais ne peuvent se comparer à la puissance du regard. Est-ce là que veulent en venir les partisans exclusifs de l’imitation? Le paysage ne doit-il plus compter parmi les arts libéraux, c’est-à-dire parmi ceux qui relèvent de la pensée? J’aime à croire que les admirateurs les plus ardens de la réalité littérale reculeraient devant cette conséquence : ils ne consentiraient pas à ranger la peinture de paysage parmi les métiers. Cependant, à voir le train que suivent les choses, on pourrait craindre que l’intelligence ne fût bientôt considérée comme superflue pour l’exercice de cette profession. Ceux qui manient le pinceau, comme ceux qui mettent leur orgueil à posséder une galerie, ne semblent pas faire grand cas de la </nowiki>