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Rome : l’idéal tient trop de place dans l’école florentine et dans l’école romaine. Les amateurs se disputent les œuvres de la décadence, qui n’ont rien à démêler avec l’idéal; les Flamands, les Hollandais qui ne relèvent ni de Rubens, ni de Rembrandt, allument la fièvre des enchères : comment les partisans de l’imitation ne se rendraient-ils pas à cet argument victorieux? Les toiles qui se vendent si cher sont évidemment excellentes ! L’argent sait où il va : il n’irait pas chercher des œuvres sans valeur. Si les Flamands et les Hollandais de second et de troisième ordre ont plus de faveur sur le marché que les Florentins, les Romains, les Vénitiens et les Lombards, c’est qu’on est revenu au bon sens, c’est-à-dire à l’imitation. Les maîtres italiens, abusés par les traditions grecques, poursuivaient la chimère de l’idéal. On sait aujourd’hui, grâce à Dieu, ce que vaut cette folle manie. Une tulipe bien imitée se vend plus cher qu’un Saint Jérôme en prière. C’est là un fait irrécusable qui répond à toutes les arguties. Dira-t-on que tous les amateurs se trompent, que les riches n’y entendent rien, et que pour avoir raison il n’est pas nécessaire de posséder une galerie? C’est une objection spécieuse, mais qui ne doit pas effrayer les partisans de l’imitation. Ceux qui ont vu les œuvres italiennes, qui en gardent le souvenir, ne sauraient avoir dans les questions de goût l’autorité de ceux qui possèdent une galerie, et peuvent chaque jour s’éclairer par la contemplation de leurs trésors. La Hollande et la Flandre dominent si bien l’Italie, que la lutte ne s’engage pas entre Rubens et Rembrandt d’une part, et les chefs des écoles romaine ou florentine de l’autre. Amsterdam et Anvers comprenaient si bien la vérité dans le domaine de la peinture, que les hommes de second ordre qui ont respiré l’air de ces villes privilégiées réunissent aujourd’hui la majorité des suffrages. Qu’on ne parle pas d’engouement : ceux qui dénouent les cordons de leur bourse ou fouillent dans leur portefeuille pour témoigner leur préférence ne sont pas à dédaigner. Une table couverte de légumes leur plaît mieux qu’une scène biblique ou évangélique. Qui oserait leur donner tort? Est-ce qu’ils ont négligé de s’éclairer?

L’excellence de la photographie est si bien établie pour les amateurs, et malheureusement aussi pour un grand nombre de peintres, que je n’espère pas la réduire aujourd’hui à sa juste valeur. Pour dessiller les yeux de ses admirateurs engoués, il faudra certainement renouveler plus d’une fois la discussion; mais quand on a pour soi la raison, le bon sens, l’expérience, le goût, on ne doit pas se décourager. J’aime à penser d’ailleurs que mes paroles ne resteront pas sans écho. Ce que je dis, d’autres le diront, et les oreilles les plus rebelles finiront par entendre. Les partisans les plus résolus de l’imitation, qui ne rêvent rien au-delà d’une copie littérale de la