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précieuses qu’on puisse mentionner, et je reconnais volontiers que le crayon n’aurait pas mieux fait. Toutefois la photographie, qui suffit à la représentation des monumens, à la représentation des montagnes, ne réussit pas à rendre aussi fidèlement la vie des plantes : dès que la brise vient à souffler, le soleil ne transcrit pas un bouquet de palmiers comme il transcrit le profil des sphinx. Or c’est là précisément ce que les gens du monde paraissent ignorer; ils consultent la photographie comme un oracle, et toutes les fois qu’ils ne retrouvent pas sur la toile ce que la photographie leur a montré, ils se déclarent mécontens. Les peintres qui ne sont pas assez opulens ou assez résolus pour résister au goût corrompu des gens du monde se proposent l’imitation comme but suprême, et accréditent l’erreur que leur bon sens condamne. C’est ainsi que le paysage s’est détourné de sa voie légitime. Pour le ramener dans le droit chemin, il faut s’attacher à remettre en honneur les peintres éminens qui l’ont illustré, et qui malheureusement ne sont pas estimés aujourd’hui à leur juste valeur.

Ruysdaël, qui excelle pourtant dans l’imitation, quoiqu’il poursuive un dessein plus élevé, Ruysdaël, comparé à la photographie, est déclaré inexact, incomplet, et ceux qui aiment la réalité littéralement transcrite diraient volontiers, s’ils l’osaient, que ses œuvres sont des ébauches. Quant à Claude Gellée, quant à Nicolas Poussin, pour qui l’imitation n’a pas la même importance, on les traite encore plus légèrement. Je me souviens d’avoir entendu dire par des hommes qui se donnaient pour sensés, qui par les habitudes de leur vie n’excitaient ni scandale ni surprise, que la renommée du Lorrain et de Nicolas Poussin était une mystification organisée aux dépens de niais par quelques beaux esprits. Cette affirmation paraîtra singulière, et pourtant je n’invente rien. Il y a vraiment parmi nous des peintres qui se trompent à ce point, et qui refusent de bonne foi d’accepter comme légitime la renommée de ces deux maîtres illustres. Demandez-leur pourquoi ils pensent ainsi, ils ne seront pas embarrassés de répondre. Ils vous diront que les œuvres de ces deux maîtres n’ont pas de type dans la nature, et que la gloire qui s’attache à leur nom est une chose convenue entre les affiliés, mais qui ne repose sur aucun fondement solide. Les détromper n’est pas facile, car ils ont d’excellentes raisons pour persister dans leur méprise. La prédilection des amateurs pour l’imitation littérale leur vient en aide. Pourquoi consentiraient-ils à changer d’avis? Ce qui se passe sous nos yeux n’est-il pas de nature à les affermir dans la doctrine qu’ils défendent? Une galerie est mise en vente. Quels sont les tableaux qui excitent la convoitise des amateurs? A quelle école appartiennent les toiles couvertes d’or? Elles ne viennent ni de Florence, ni de