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ni de Fontainebleau ni de Compiègne ne vaut pas une heure d’attention. Il n’est donc pas hors de propos de montrer à ces amans passionnés de la nature que les plus habiles paysagistes n’ont pas réduit leur tâche à l’imitation, et que la valeur de leurs ouvrages croît en raison directe de leur estime pour l’idéal. S’il en était autrement, il suffirait d’avoir de bons yeux, une main docile pour étonner, pour charmer les regards. Et néanmoins nous avons parmi nous des peintres qui copient un fût de colonne renversée plus exactement que Claude Gellée, une plante grimpante avec plus d’adresse qu’Adrien van Ostade. Pourquoi donc n’ont-ils pas réussi à nous plaire comme Van Ostade et Claude Gellée ? Ce n’est pas le maniement du pinceau qui leur fait défaut : ils connaissent tous les secrets de leur métier, tous les secrets compris dans la pratique matérielle ; mais il paraît qu’il leur manque quelque chose, quelque chose qui ne s’apprend pas, qui ne s’enseigne dans aucun atelier, que la méditation peut seule révéler, — l’intelligence et l’expression de l’idéal. Van Ostade ne compte pas parmi les peintres idéalistes, et pourtant il a payé son tribut au principe qui semble aujourd’hui dédaigné. Quoiqu’il se préoccupât vivement de l’imitation, il ne transcrivait pas ce qu’il voyait. Ses paysages d’automne, qui excitent depuis longtemps l’admiration des connaisseurs, ne sont pas dépures copies. Jamais la nature, dans les plus riches contrées, ne s’est présentée avec cette splendeur et cette variété, et ce qui est vrai pour Adrien van Ostade est encore plus vrai ou du moins plus évident pour Claude Lorrain.

Il y a dans les toiles de ce maître que nous possédons au Louvre, comme dans les œuvres signées du même nom qui décorent à Rome la galerie Doria et se recommandent par une conservation parfaite, une grandeur qui ne se rencontre jamais dans la réalité. À quoi tient l’attrait de ces admirables compositions ? Ce n’est pas à l’exactitude littérale de l’imitation. Ce qui donne tant de prix aux œuvres de Claude Lorrain, c’est qu’elles expriment constamment une pensée. On demande comment les terrains et le feuillage, l’ombre et la lumière peuvent exprimer une pensée : c’est une question qui ne doit pas être discutée en face des œuvres du pinceau, mais bien sur le terrain même des souvenirs personnels. Qui donc, parmi ceux qui ont voyagé, n’a pas gardé mémoire de forêts ou de montagnes, de vallées ou de rivières qui traduisaient fidèlement l’état de son âme ? Eh bien ! l’homme qui pense, l’homme qui est ému, qui compte dans son passé des scènes navrantes ou joyeuses, ne peut pas manier le pinceau et retracer ce qu’il a vu sans y inscrire l’émotion qui l’agitait à l’heure où il contemplait le spectacle qu’il tente de rappeler. Il ne dépend pas de lui d’agir autrement ; il cède au besoin de consacrer ce qu’il a éprouvé en présence de la nature ina-