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montant précipitamment les degrés, court avec une effronterie maladroite s’asseoir presque au milieu de ses juges; Ferréolus au contraire, bien que l’égal d’Arvandus en dignité, va se ranger avec ses deux collègues à l’extrémité des derniers bancs, faisant voir par là que, s’ils étaient sénateurs, ils n’oubliaient point pour cela leur rôle d’accusateurs et de députés : tout le monde applaudit à leur sage réserve. Sur ces entrefaites, les débats sont ouverts, et les députés debout exposent l’objet de leur mission; ils lisent d’abord le décret provincial qui les institue, passent à l’énumération des griefs, spécifient les faits de péculat, articulent les preuves, et arrivent enfin à la lettre qui était le coup secret de l’accusation. La lecture en est à peine commencée, qu’Arvandus s’écrie brusquement et sans provocation que c’est lui qui l’a dictée. « Cela est de toute évidence, répondent les députés, c’est Arvandus qui a dicté cette lettre infâme. » Lui, comme frappé de vertige, demande quel crime contiennent ces pages, et répète deux ou trois fois qu’elles sont bien de lui. « O juges, dit alors un des accusateurs en élevant la voix, vous entendez l’aveu du coupable; il se reconnaît criminel de lèse-majesté. » Cette scène parut faire sur les juges une profonde impression. La lecture de la lettre ayant été achevée, on cita les textes de lois qui définissaient le crime de lèse-majesté, qui en précisaient les circonstances, qui en établissaient les peines. Ce fut alors qu’Arvandus se repentit, mais trop tard, de sa loquacité inqualifiable; il pâlit en entendant la loi comme à la découverte d’une chose nouvelle et inattendue. Ce préfet du prétoire des Gaules, vieilli dans les honneurs, ignorait à ce point le droit de son pays, qu’il croyait l’application des lois de lèse-majesté bornée aux attentats contre le prince et à l’usurpation de la pourpre. Le commentaire de Ferréolus ou de Pétronius le tira de son erreur, son enivrement se dissipa; toute cette poussière de futilité et de confiance en soi-même tomba pour ne laisser voir qu’un abattement misérable. Il demandait grâce, il suppliait, et les bras étendus vers l’assemblée il conjurait tout le monde de l’épargner. C’était un triste spectacle que celui de cet homme couvert d’or et de soie, de ce suppliant si soigneusement paré, qu’attendaient la prison publique et pour le moins les latomies et les ergastules d’esclaves. Les décemvirs prirent du temps pour délibérer et prononcer le jugement. Toute audition de témoins devenait inutile par la reconnaissance de la lettre; le crime était constant, il entraînait la peine de mort, et la mort fut décrétée. Un sénatus-consulte, rendu sur la proposition de Tibère, accordait au condamné à la peine capitale un délai de dix jours entre l’arrêt et l’exécution; ce délai avait été successivement étendu à trente : c’était un bénéfice que tout condamné pouvait invoquer, et