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nérés, indignes de pères qui se sont illustrés dans les affaires, laissez-moi les miennes, où vous n’entendez rien : vous n’êtes que de vils procureurs. Arvandus a pour lui sa conscience, et cela lui suffit. Il permettra peut-être à ses avocats de plaider sur les prétendus faits de concussion; quant à l’accusation de lèse-majesté, il la réserve pour lui et ne s’en inquiète guère. » Tel fut le succès de la démarche de Sidoine, juste récompense de sa vaniteuse sollicitude. Il sortit de la demeure d’Arvandus triste et humilié, comme un médecin qui voulait sauver un fou et que le fou a jeté à la porte : c’est lui-même qui nous fournit cette comparaison.

Une coutume des temps républicains, conservée malgré de si nombreuses révolutions, voulait que les accusateurs d’un magistrat, les députés d’une province pillée, d’une ville blessée dans son honneur ou dans son intérêt, se présentassent à Rome dans un attirail fait pour exciter la pitié, et visitassent ainsi leurs juges et les hauts fonctionnaires dont le patronage pouvait les servir. La députation gauloise eut soin de se conformer à l’usage : on la voyait traverser les rues et les places en habit de deuil, la chevelure négligée, le visage triste et sévère, attirant sur elle par l’humilité de son maintien la commisération ou du moins la sympathie publique. Arvandus au contraire affichait à tous les regards une impudente sécurité. Mis en liberté provisoire, il semblait avoir pris domicile au Forum; c’est là qu’on l’apercevait chaque jour, vêtu d’une robe blanche élégamment drapée, courant à droite et à gauche, échangeant des saluts, interpellant les passans, et provoquant tout le premier les félicitations sur son acquittement prochain. Parfois il interrompait sa promenade pour entrer dans les boutiques qui garnissaient la place, marchandait des bijoux, faisait déployer des étoffes de soie, donnait son avis sur quelque belle pièce d’orfèvrerie, touchait à tout, contrôlait, estimait tout, et, entremêlant son dialogue de déclamations contre les temps et les lois, se plaignait des juges, du sénat, du prince lui-même, qui ne prenait point souci de le venger avant de l’avoir entendu.

Cependant arrive le jour du procès, et dans la curie, transformée en cour de justice, les décemvirs prennent place sur leur tribunal, le sénat étant au grand complet. Bientôt on appelle les parties : l’accusé et ses défenseurs devaient être introduits dans la salle par un côté, les accusateurs par l’autre. Arvandus s’élance le premier, et se présente avec un front rayonnant, bien peigné, bien poncé, tandis que les trois Gaulois, à moitié vêtus de noir et le visage triste et pâle, attendaient modestement l’huissier des décemvirs. Avant l’ouverture de l’audience, on autorise ceux des comparans qui étaient de rang préfectoral à prendre place sur les bancs. Aussitôt Arvandus,