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épousant de son plein gré le Visigoth Ataülf, l’autre en se résignant à devenir la bru de Genséric. Il est vrai que Ricimer ne paraissait point d’humeur à se laisser adoucir comme le roi des Goths par la tendresse, et à prendre, aux genoux d’une belle Romaine, des leçons de respect pour Rome et d’enthousiasme pour la civilisation. Quoi qu’il en soit, Anthémius balança longtemps, et après son consentement tardif il parlait encore de ce mariage comme d’un sacrifice que lui avait arraché l’intérêt des Romains[1]. Ces hésitations, ces paroles, mal interprétées par un homme ombrageux, purent jeter de la froideur entre le futur gendre et le beau-père.

Un grand projet de Léon se rattachait dans son esprit à l’élévation d’Anthémius et au rétablissement de l’unité romaine, le projet de châtier Genséric, qui, maître absolu des mers de la Grèce et de l’Italie, tenait les deux moitiés de l’empire en état de blocus, détruisait leur commerce et promenait le ravage sur toutes leurs côtes. Affranchir la Grèce de la tyrannie des pirates vandales, les poursuivre dans leurs repaires, en Sardaigne, en Sicile, à Carthage surtout, brûler leurs vaisseaux dans leurs ports, les battre sur terre et les chasser enfin d’Afrique, c’était un vœu que formait Léon, une idée qu’il méditait depuis longtemps, mais à l’accomplissement desquels il sentait bien qu’il devait renoncer sans l’union des deux empires et la mise en commun de leurs armées et de leurs flottes. Anthémius, qui dans cette alliance contre Genséric avait pour mission particulière de venger les injures de Rome, s’y était engagé de grand cœur, et le projet ne rencontrait d’ailleurs aucune opposition de la part de Ricimer, ennemi personnel des Vandales et de leur roi. Tout allait bien jusque-là; mais Léon, sous le prétexte de venir en aide à l’Italie, épuisée de soldats, avait fait accompagner Anthémius par une division de l’armée orientale bien dévouée à ses intérêts, et qui devait servir d’auxiliaire aux Italiens dans les opérations de la guerre d’Afrique : toutefois, dans les circonstances où elle était envoyée, on aurait aisément pu la prendre pour une garde de sûreté, chargée de veiller sur le prince grec au milieu des troupes d’Occident. Cette mesure, prudente peut-être, avait un caractère de défiance qui dut blesser Ricimer et ses soldats. Au reste, ces deux hommes semblaient destinés à se froisser sans cesse par le seul contact de leurs caractères. Ricimer en toutes choses était l’opposé d’Anthémius. Celui-ci, vif, impétueux comme un enfant de l’Asie, s’emportait souvent sans beaucoup de raison, et l’habitude d’être obéi l’avait rendu opiniâtre dans ses avis; Ricimer discutait peu, ne se fâchait point, mais ne

  1. On peut consulter dans Ennodius la conversation qu’eut plus tard Anthémius avec saint Épiphane. Vit. S. Epiphan., p. 339 et seqq., édit. Schot.