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dominateurs de fait du pays, et en présence d’une affluence permanente d’étrangers, dont le passage à travers l’isthme n’est pas toujours rassurant pour l’ordre public. Qu’est-il arrivé ? La nécessité a parlé, et des impôts nouveaux ont été établis, soit par l’état de Panama, soit par le congrès général de la Nouvelle-Grenade. En résumé, ces impôts consistent dans une contribution sur les passagers, dans un droit de tonnage et dans un droit sur le transport des correspondances. Les Américains ont élevé aussitôt les plus vives plaintes contre ces mesures, dans lesquelles ils voyaient une violation du traité de concession du chemin de fer et des conventions commerciales entre les États-Unis et la Nouvelle-Grenade. Il en était ainsi lorsque l’an dernier, au mois d’avril, une rixe terrible éclatait à Panama entre des voyageurs et la population, rixe provoquée, il faut le dire, par l’un des passagers, et où un certain nombre d’Américains trouvaient la mort. Nouveau grief pour les États-Unis. Le gouvernement de Washington envoyait à Panama un commissaire pour procéder à une enquête, et ce commissaire concluait simplement par la proposition d’occuper l’isthme, ce qui était couper court à toute difficulté et aller droit au but. Le gouvernement de Bogota refusait d’ailleurs jusque-là de reconnaître la légitimité des réclamations élevées et soutenues énergiquement par le ministre américain, M. Bowlin. C’est alors que le cabinet de Washington s’est décidé à envoyer à Bogota un ministre extraordinaire, M. Morse, pour prendre la direction de l’affaire et ouvrir des négociations d’un caractère nouveau. Si les États-Unis n’avaient pas admis tout d’abord le moyen expéditif proposé par le commissaire envoyé dans l’isthme, M. Corwine, les instructions données à M. Morse ne s’éloignent guère par le fait de cet ordre d’idées. Quel était en effet l’objet des négociations dont se trouvaient chargés M. Morse et M. Bowlin ?

La question de l’indemnité pour les scènes sanglantes de Panama, bien que servant toujours de prétexte, n’était plus qu’un détail secondaire. Les négociateurs américains avaient à proposer à la Nouvelle-Grenade un traité en vertu duquel les villes d’Aspinwall et de Panama, aux deux extrémités de l’isthme, auraient été érigées en municipalités entièrement indépendantes, avec juridiction sur la portion de territoire traversée par le chemin de fer. En cas de danger pour l’ordre public et d’insuffisance des autorités locales, les consuls de l’Union auraient pu requérir l’intervention des forces américaines. Les îles de la baie de Panama auraient été cédées aux États-Unis moyennant compensation pécuniaire. Du reste, tout ce que le gouvernement de la Nouvelle-Grenade s’est réservé en fait de contrôle ou de redevances sur le chemin de fer serait passé au gouvernement de Washington. C’était simplement, en un mot, une cession de l’isthme sous la forme d’une neutralisation stipulée entre les deux pays. Il est bien clair que, dès le lendemain du jour où un tel traité eût été signé, les Américains étaient maîtres de l’isthme de Panama. Les plénipotentiaires de la Nouvelle-Grenade n’ont pas eu besoin d’une extrême perspicacité pour saisir le sens et la portée de ces ouvertures. Ils ont nettement refusé de souscrire à de telles propositions. Ils se sont bornés à accepter la pensée d’une négociation pour garantir la sécurité du transit entre les deux Océans, dans l’intérêt de toutes les nations étrangères. Dès que les agens américains ont vu qu’ils ne pouvaient atteindre leur