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l’entraînement des dépenses vient déranger les calculs les plus confians, des incidens nouveaux viennent imposer des charges nouvelles ; mais enfin un budget dans son ensemble repose sur des données assez positives pour qu’on puisse y voir la mesure d’une situation financière. L’équilibre existe dans le budget actuel, cela n’est point douteux ; seulement, il ne faut pas s’y méprendre, cet équilibre existe à diverses conditions d’un caractère particulier. Il y aurait d’abord à faire la part des ressources transitoires qui ont dû être demandées à l’impôt pour faire face aux dépenses de la guerre, et qui doivent disparaître avec la guerre elle-même. L’impôt sur les valeurs mobilières est un élément nouveau dans les recettes publiques. Enfin, malgré tout, il reste des déficits antérieurs considérables, une dette flottante qui s’élève à près de 900 millions. Cette dette flottante, il est vrai, doit être allégée à l’aide des 100 millions que la Banque doit verser au trésor, d’après la nouvelle loi, et d’une somme de 80 millions provenant des fonds de dotations de l’armée. Il reste néanmoins encore une situation où le développement des recettes normales, quoique permanent et considérable, a de la peine à suivre le développement des dépenses. Et qu’on le remarque bien, ces dépenses s’accroîtraient plus rapidement encore, si le gouvernement et le corps législatif cédaient à toutes les suggestions. Bien des esprits voient sans doute dans cette progression des dépenses un signe de prospérité ; ce n’est ni le gouvernement, ni le corps législatif, ni le pays, qui peuvent penser ainsi.

On peut étudier notre temps sous bien des aspects ; on peut le suivre dans ses fièvres et dans ses défaillances de tous les jours et de toutes les heures, dans les contrastes de ses révolutions politiques ou dans les prodigieux efforts de son activité matérielle : le plus grand charme restera toujours dans l’étude des œuvres et des mouvemens de la pensée, comme ce sera toujours le véritable signe des esprits éminens de s’intéresser aux lettres, de les sentir et de les aimer. Aussi un doute s’élève-t-il sur la valeur des systèmes qui tendraient à affaiblir l’éducation littéraire, ainsi que sembleraient l’indiquer aujourd’hui les statistiques constatant les résultats des dernières réformes accomplies dans l’instruction publique en France. Le nombre des jeunes gens qui se tournent vers les sciences a augmenté, le nombre de ceux qui persévèrent dans l’étude des lettres est devenu moins grand : c’est là ce qu’il y a de plus clair jusqu’ici. Est-ce un fait passager ? est-ce le signe durable d’une tendance permanente ? Si c’était un fait permanent, il ne faudrait pas y voir peut-être un progrès merveilleux de la civilisation. Ce n’est pas l’étude des sciences qui est un mal ; mais là où l’étude des lettres n’occupe pas la place qui lui est due, il y a une sorte d’équilibre rompu entre les facultés humaines : il y a une secrète et graduelle diminution de cette culture générale qui fait la virilité et la supériorité des esprits. On voit surtout s’affaiblir ce sentiment littéraire, au nom duquel M. Villemain se plaint dans son dernier ouvrage, et dont il est lui-même une des plus brillantes personnifications contemporaines. M. Villemain a le mérite d’avoir la généreuse passion des lettres, de sentir ce qu’il y a d’élevé en elles, et de ne point croire que le progrès du monde soit compatible avec ce qui serait le déclin de la vie intellectuelle. Il se montre aujourd’hui dans son dernier ouvrage, dans le Choix d’Études sur la Littérature contemporaine, ce qu’il