Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/708

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans cette occasion la campagne, ce sont les savanes et les grandes forêts, et les fermiers sont des guerriers peaux-rouges. Le mélange de vie rustique et de vie héroïque qui caractérise les mœurs indiennes a été vivement saisi et reproduit. Tous les types que la vie rustique engendre dans tout pays se retrouvent dans ce récit sous une forme locale : le dandy du village, Pau-Puk-Keevis, le mauvais plaisant aimable, chéri des femmes pour sa bonne humeur, beau danseur, joueur rusé, possesseur des plus beaux mocassins et des plus belles fourrures; Iagoo, le conteur de la veillée, celui qui sait les plus merveilleuses histoires et qui raconte les plus amusans mensonges. La vie humaine qui nous est familière se retrouve ainsi dans cette légende reconnaissable encore sous le costume sauvage dont elle est enveloppée.

Le mariage d’Hiawatha marque l’apogée de son bonheur, ses exploits sont achevés; maintenant les années sombres vont se dresser devant lui. L’une après l’autre toutes les joies de la jeunesse l’abandonnent; sa vie se décolore lentement et s’assombrit. Chibiabos meurt, et avec lui toute la poésie de l’existence d’Hiawatha. Désormais plus de rêves, plus de désirs, plus d’espérance; tout ce qui pouvait être a été; l’imagination ne colore plus le monde de son prisme. Puis Kwasind disparaît à son tour, victime des embûches de méchans démons. Hiawatha ne compte plus autant sur la douceur pour gouverner les hommes. Par la mort de Kwasind, qu’ont tué les petits nains des eaux, il apprend à se méfier de la méchante race des petits nains humains. Le mal s’est glissé parmi son peuple, et la corruption, et la débauche, sous la forme du dandy Pau-Puk-Keevis. C’est un jour d’amère expérience pour lui que le jour où il est obligé de faire la chasse à ce malfaisant personnage, de le frapper dans les retraites du castor, dans les cavernes des serpens, dans les airs, où il vole en compagnie des oiseaux sauvages, dont il a revêtu la forme.

Enfin d’étranges hôtes viennent s’asseoir à son foyer : ce sont trois vieilles femmes silencieuses et tristes qui prennent leur repas sans mot dire à la table de famille, et qu’on entend la nuit pousser de profonds gémissemens. Ces vieilles femmes sont les esprits des morts chéris qui reviennent supplier qu’on n’afflige plus par des larmes et des lamentations inutiles les âmes de ceux qui ne sont plus. Cette visite sinistre est une prédiction : elle parle d’une manière sensible de malheurs et de morts prochaines. La famine désole le peuple d’Hiawatha; la belle Eau Riante meurt elle-même de privations et d’angoisses. La tribu rustique est décimée, ruinée, la vie sauvage corrompue et désorganisée; rien n’est plus de ce que Hiawatha avait rêvé. C’est le moment pour lui de disparaître; la place