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Selon l’habitude des peuples primitifs, les forces naturelles sont divinisées, ou plutôt transformées en personnages gigantesques, demi-héros, demi-divinités; mais dans cette légende indienne de l’intérieur des terres, ce ne sont pas les forces violentes des peuples du sud ou du littoral, le feu central et volcanique, l’océan, qui figurent : ce sont les forces vagues qui agitent les rameaux de la forêt primitive ou les hautes herbes des prairies, — les vents. La plus puissante de ces divinités est le vent de l’ouest, le vent de la contrée où cette légende a pris naissance; c’est Mudjeekewis, le vainqueur de l’ours des montagnes, l’habitant des rochers et des cavernes sauvages. Roi de l’empire de l’air, Mudjeekevis a distribué son royaume entre ses trois fils : à Wabun il a donné le vent de l’est, à Shawondasa le vent du sud, et au féroce Kabibonokka, le cruel vent du nord. Wabun est le plus jeune et le plus beau de tous, c’est le vent adolescent et frais, le vent de l’aube, « celui qui amène le matin, celui dont les flèches d’argent chassent les ténèbres sur les collines et dans les vallées, celui dont les joues sont peintes du rouge le plus brillant, dont la voix éveille le village, appelle le daim et appelle le chasseur. » Il s’ennuyait tout seul dans le ciel, le jeune Wabun, malgré le chant des oiseaux, les parfums des prairies, les bruits sonores des forêts. Un jour il aperçut dans une prairie une belle jeune fille, et son ennui disparut aussitôt. Ils étaient tous deux solitaires, elle sur la terre et lui dans le ciel. « Il la supplia par ses caresses, il la supplia par le rayonnement de ses sourires, il la supplia par ses mots flatteurs, par ses soupirs et ses chants, par ses gentils chuchotemens dans les branches, par la plus douce musique, par les plus suaves odeurs, jusqu’à ce qu’il l’eût attirée contre son sein, enveloppée de ses robes de pourpre, et changée en une étoile toujours palpitante contre son sein. Et depuis lors on les voit toujours dans le ciel allant ensemble, — Wabun et l’étoile du matin.» Le cruel Kabibonokka (le vent du nord) n’avait point ces grâces et ce charme romantique. Il n’avait pas de penchans amoureux, il était insociable et morose, et voulait que la solitude régnât autour de sa maison de glace, située dans la terre du Lapin-Blanc. La présence d’un être vivant autour de sa demeure lui semblait un défi et une menace, et une fois il engagea même avec Shingebis le plongeur, qui s’obstinait à rester dans son royaume, un combat dans lequel il fut vaincu. Le troisième des fils de Mudjeekewis, Shawondasa (le vent du sud), était un véritable créole, gras, paresseux, toujours couché sur les fleurs, perpétuellement assoupi, faisant la sieste avec délices, opulent, généreux, prodigue, ami du faste. C’est lui qui envoyait au nord les oiseaux et les fleurs, « qui envoyait Opechee le rouge-gorge, qui envoyait Owaissa l’oiseau bleu, qui en-