Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/697

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne l’a pas tiré, sans en rien dire, d’un vieux poème finlandais. Le fait serait exact, qu’il n’infirmerait en rien la valeur du nouveau poème. Toutes les traditions des peuples primitifs ont quelques traits de ressemblance. Hiawatha ressemble non-seulement au héros du poème finlandais, que nous ignorons d’ailleurs parfaitement, mais à tous les héros dont l’imagination populaire a placé l’existence au premier âge des sociétés. Il réunit en lui les traits d’un Triptolème et d’un Hercule; il enseigne l’agriculture et les arts de la paix comme le premier, il lutte contre les forces naturelles comme le second. Il sait combattre les dragons gardiens des trésors enfouis, comme Sigurd ou Jason; il porte des mitaines enchantées, il possède des bottes de sept lieues, il est pieux, il prie, jeune et médite comme un roi de l’Inde brahmanique; il est prophète, devin, comme un prêtre d’Egypte; il enseigne à son peuple l’art de figurer la pensée par des symboles tracés sur la peau des bêtes. Héros, il a pour amis deux héros qui se retrouvent au commencement de toutes les civilisations : Kwasind, emblème de la force unie à la douceur, de la force qui s’applique avec tendresse au bonheur des hommes, et le mélodieux Chibiabos, le chanteur, le poète musicien, qui vit dans la familiarité de la nature, et dont les chants rendent les hommes meilleurs. M. Longfellow a donc rassemblé dans Hiawatha les traits particuliers qui caractérisaient le mieux les héros de tous les pays. S’il y a dans ce poème un souvenir littéraire, cette réminiscence est bien plus étendue que ne le disent ses adversaires; il ne s’est pas contenté de reproduire une tradition ignorée d’un pays peu connu. L’accusation de plagiat tombe devant cette réflexion si simple, que l’imagination populaire s’est plagiée elle-même à son insu dans tous les pays, que partout elle a prêté aux héros les mêmes pouvoirs et les mêmes instrumens magiques, et que partout elle a incarné les forces naturelles sous des formes humaines.

Malgré ces emprunts faits aux mythologies héroïques de tous les pays, la création de M. Longfellow n’en conserve pas moins son originalité. Tous les traits empruntés sont habilement fondus, de manière à se rapporter exactement à la nature d’un héros des savanes et des forêts vierges. Les mocassins enchantés sont nécessaires pour traverser les interminables prairies, les mitaines magiques sont très utiles pour briser les rochers qui opposent un obstacle au cours des fleuves, ou qui barrent la route au voyageur. Les trésors conquis par Hiawatha sont cachés sous les marécages et les lacs. L’âme du héros est bien celle d’un héros indien, et jamais rien ne fait songer à un héros d’un autre pays; jamais aucune maladresse poétique ne transporte l’esprit au-delà du village rustique et de la vie de la tribu. On n’y devine aucun degré de civilisation supérieur à celui que rêve Hia-