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ticulier, un peu artificiel et archaïque, mais singulièrement exquis et rare, assez semblable au sentiment que font éprouver d’autres tentatives analogues de grands poètes modernes, s’essayant à reproduire la vie et l’esprit des temps qui ne sont plus, certaines ballades de Goethe par exemple ou certains poèmes d’Henri Heine.

La nature que décrit M. Longfellow n’est point celle qui nous est familière, et cependant le poète nous introduit dans son intimité, il nous en fait sentir en quelque sorte les douceurs et le charme domestique. La forêt vierge, les grands fleuves, les savanes infinies, n’excitent pas plus notre étonnement dans ce poème qu’ils n’excitent l’étonnement du sauvage dont les yeux sont depuis longtemps habitués à ces spectacles grandioses. La nature la plus extraordinaire n’inspire de sentimens sublimes ou excessifs que lorsqu’elle est surprise à la dérobée, vue en passant, prise comme antithèse des tableaux qui nous avaient été familiers jusqu’alors. Il y a une grande différence par exemple entre les sentimens que la nature inspire à un citadin et ceux qu’elle inspire à l’habitant des campagnes. Le premier la voit et la sent plus vivement, mais son impression, étant plus exceptionnelle, est pour ainsi dire plus exagérée, parce qu’elle ressemble à une surprise, à un tressaillement subit, à la première sensation d’un bonheur inconnu, dont la nouveauté augmente l’énergie. L’habitant des campagnes sent moins vivement, l’habitude lui enlève le plaisir des surprises; mais toutes les impressions naturelles agissent en lui néanmoins d’une manière lente et latente, donnent un moule à ses pensées, teignent son langage de leurs nuances, tout cela à son insu et par le seul effet d’influences ininterrompues. Pour l’un, la nature est une passion et en quelque sorte une aventure; pour l’autre, elle est une habitude. Cette différence dans la manière de sentir la nature se retrouve presque au même degré entre un poète qui chante les paysages d’une terre étrangère et un poète qui chante la nature qui lui est familière. Le premier est exagéré sans cependant être faux; il devient facilement pompeux sans être pour cela emphatique. Ce qui le frappe et ce qu’il reproduit, c’est l’aspect nouveau de la nature qui se révèle à lui, un ciel plus brumeux ou plus pur, une austérité âpre ou une exubérance de fertilité. Un poète du Midi qui chante la nature du Nord est surtout frappé par son esprit rigide et triste : ce qu’il voit et ce qu’il décrit, ce sont les sombres sapins, les glaces et les neiges; mais il oublie que sous ces sapins les oiseaux chantent dans les saisons heureuses, et que la verdure dort sous ces neiges. On sera tout surpris, lorsqu’on lira un poète septentrional, de voir qu’il ne s’en est pas laissé imposer par les choses qui ont tant frappé l’imagination de l’étranger, que lui aussi, quoique enfant du Nord, il connaît les tièdes brises, aime