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« Dans la vallée de Tawasentha, dans la verte et silencieuse vallée, sur le bord des plaisans cours d’eau, habitait le chanteur Nawadaha. Tout autour du village indien s’étendaient les prairies et les champs de blé, derrière se dressait la forêt, s’élevaient les bosquets de plus harmonieux, verts en été, blancs en hiver, toujours soupirant, toujours chantant.

« Et les rians cours d’eau, vous pouviez facilement suivre leurs traces à travers la vallée, par leur murmure au printemps, par leurs rideaux d’aunes en été, par leurs blanches vapeurs en automne, par la ligne noire de leurs rives en hiver. Et sur leurs bords habitait le chanteur, dans la vallée de Tawasentha, dans la verte et silencieuse vallée.

« Là, il chantait Hiawatha, il chantait le chant d’Hiawatha, il chantait sa naissance et sa vie merveilleuse, comment il pria et comment il jeûna, comment il vécut, travailla et souffrit, afin que les tribus des hommes pussent prospérer, afin qu’il pût faire prospérer son peuple.

« Vous qui aimez les retraites de la nature, qui aimez le soleil dans la prairie, qui aimez l’ombre dans la forêt, qui aimez le vent à travers les branches, et les averses de la pluie, et les tourbillons de neige, et le mugissement des grands fleuves entre leurs palissades de pins, et le tonnerre dans les montagnes, dont les innombrables échos bruissent comme des aigles dans leurs aires, prêtez l’oreille à ces sauvages traditions, à ce chant d’Hiawatha ! »


Cette délicieuse introduction donne bien l’idée ou plutôt l’impression du ravissant poème d’Hiawatha, l’œuvre la plus achevée que M. Longfellow ait produite jusqu’à présent. Un souffle de la nature a passé sur ces pages ; il soulève pour ainsi dire et fait trembler leurs images, comme le vent soulève et fait trembler les feuilles dans les bois. La mélodie des vers, rapide et monotone, ressemble singulièrement aux voix de la nature, qui ne se fatigue jamais de répéter toujours les mêmes sons. Deux ou trois notes composent toute la musique de cette poésie, mélodieuse et bornée comme un chant d’oiseau. Les mots qui vont se répétant entretiennent dans le récit comme un balancement qui fait ressembler la poétique histoire à ces nids d’oiseaux d’Amérique suspendus entre les rameaux de deux arbres. Le sentiment de la nature qui règne dans ce poème est à la fois très raffiné et très familier. Le poète sait prêter, comme un moderne, des voix à tous les objets inanimés de la nature ; il connaît la langue des oiseaux, il comprend le murmure du vent dans les feuilles, il interprète le bruit des ruisseaux, et cependant, en dépit de cette subtilité poétique, il ne s’égare jamais dans une description minutieuse, et ne s’oublie pas complaisamment à prolonger par la pensée les sensations éprouvées. Son poème, fait avec un art exquis, participe ainsi de deux caractères : il est homérique par la précision, la simplicité et la familiarité des images ; il est moderne par la vivacité des impressions et par un souffle tout lyrique qui parcourt toutes ses pages. De ce mélange naît un sentiment par-