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est l’inspiration constante de son œuvre. Ce n’est pas assez de vaincre les Turcs, il faut réparer les fautes de vos pères, il faut redevenir une nation : telle est la leçon adressée aux Grecs du XIXe siècle par M. Fallmerayer, — virile leçon et bien remarquable, ce me semble, au moment où l’Europe entière saluait avec un enthousiasme si confiant la renaissance des Hellènes !

On voit que la question d’Orient n’a pas été inutile aux études historiques. Ce que nous avons tenu à mettre ici en lumière, c’est moins le zèle des érudits que l’ardeur des publicistes. Dans les différentes phases que cette question a traversées depuis des siècles, elle a provoqué des traités, des actes diplomatiques, des relations d’ambassadeurs, en un mot toute une littérature d’affaires. Aujourd’hui nous voyons des érudits, des historiens d’élite ressentir le contre-coup des événemens et traduire ces impressions de leur âme dans leurs travaux les plus sévères. Ils n’écrivent pas des œuvres de circonstance, ils écrivent des œuvres durables auxquelles l’inspiration du moment communique le mouvement et la vie. Ce sont là des symptômes qui attestent la supériorité de notre âge. Il n’est plus permis aux peuples d’assister avec insouciance aux événemens de l’histoire. A l’époque où les peuples étaient encore en tutelle, les tuteurs seuls réglaient les grandes questions politiques; un moyen pour eux de prouver que la période de la tutelle est passée, c’est de faire acte de virilité par le libre exercice de l’opinion. Or l’opinion s’exerce, quoi qu’on puisse dire. N’est-ce pas elle qui se manifeste jusque dans ces graves domaines de la science, d’où on l’écartait si soigneusement autrefois? Un historien français nous peint le tableau des invasions hunniques, et les émotions de la guerre de Crimée doublent les forces de son talent; un érudit allemand découvre l’histoire perdue des derniers Comnènes, et il en fait sortir une leçon à l’adresse des Grecs de nos jours : dans l’un et l’autre de ces livres, on sent, et de la manière la plus heureuse, la trace des préoccupations du temps. Il s’agissait en 1828 de l’affranchissement de la Grèce; M. Fallmerayer retrouva une page tragique de l’histoire du Bas-Empire. Aujourd’hui il a fallu arrêter la marche envahissante de la Russie; M. Amédée Thierry nous raconte ce que firent les empereurs d’Orient et d’Occident, Héraclius et Charlemagne, pour circonscrire l’invasion des Barbares du Nord. Le double aspect de ce grand et périlleux problème a donc été présenté au monde à trente années de distance, et dans ces deux circonstances si différentes, la question vitale de l’Europe a inspiré deux livres également remarquables par la science de l’érudit et l’élévation du publiciste, — l’Histoire de l’Empire de Trébisonde, de M. Fallmerayer, — l’Histoire d’Attila, de M. Amédée Thierry.


SAINT-RENE TAILLANDIER.