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les Turcs de Mahomet II s’est prolongée en Asie après la prise de Constantinople. Il y avait au sud du Caucase, sur les côtes de la Mer-Noire, un empire fondé et régi par la famille des Comnènes depuis la révolution de palais qui en 1185 leur arracha le trône de Constantin : c’était l’empire de Trébisonde. Quelles avaient été de 1185 à 1453 les destinées de cet empire? que devint-il après la chute de l’empire d’Orient? — Toutes ces questions étaient fort obscures. Ducange, qui a débrouillé l’histoire des dynasties de la Grèce, déclare qu’un voile impénétrable couvre cet épisode des Grecs de Trébisonde; Gibbon exprime la même opinion dans son Histoire du Bas-Empire. M. Fallmerayer, avec la passion de l’érudit et l’ardeur du publiciste, s’appliqua à dissiper ces ténèbres. Initié aux principales langues de l’Orient, il interrogea les Turcs, les Persans, les Tartares, en même temps qu’il consultait les ambassadeurs vénitiens et espagnols; il compulsa les chartes, les manuscrits, il eut même la bonne fortune de découvrir un chroniqueur inconnu jusque-là, l’historiographe de l’empire de Trébisonde, Michel Panarètos, dont le récit a éclairé ses recherches et comblé bien des lacunes. Muni de tous ces documens, M. Fallmerayer nous a montré les derniers Comnènes essayant de lutter contre Mahomet II après que le chef des Ottomans était déjà le padishah de Byzance.

Hélas ! c’est une tragique histoire. Il y a encore là quelques hommes audacieux pour engager cette lutte, mais leur vie passée, leurs habitudes d’esprit et de conduite pèsent sur eux et les enchaînent. A Trébisonde comme à Constantinople, on est plus accoutumé aux disputes monacales qu’aux actions viriles. « Refoulés dans ce petit coin de l’empire d’Orient, ces hommes, dit l’auteur, m’apparaissent comme des assiégés dans le coin d’un palais. Le palais est ouvert de tous côtés, le palais est envahi ; ils continuent à se défendre sans aucune chance de succès... » Certes la résolution est belle; pourquoi faut-il que les Comnènes soient si peu préparés à la soutenir? C’est là ce qu’il y a de vraiment tragique dans cette agonie de l’empire de Trébisonde. L’empereur David tend de tous côtés ses mains suppliantes, il s’adresse à l’Orient et à l’Occident, aux soldats de Mahomet et aux soldats du Christ, aux Turcomans et au pape. Les Turcomans seuls viennent à son secours, mais ils sont battus avec lui, et bientôt en 1465 David est égorgé à Constantinople avec ses huit fils. Sa femme, l’impératrice Hélène Cantacuzène, assista à l’horrible exécution; elle ensevelit elle-même les cadavres de tous les siens, puis, enfermée dans une hutte de chaume où l’on respecta sa douleur, elle mourut au milieu des pratiques d’une piété ardente, exaltée encore par ces catastrophes. M. Fallmerayer ne déclame pas, c’est à peine s’il tire de ce tableau la moralité qu’il contient, mais cette moralité, qu’il n’exprime qu’à demi,