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champions se lèvent pour la chrétienté, — en face de Mahomet et des kalifes les Francs de Dagobert et de Charlemagne, les croisés de Godefroy de Bouillon, de saint Bernard et de saint Louis.

C’est donc la France, dès le VIIe siècle, qui succède à l’empire d’Orient dans l’héroïque défense de la chrétienté. M. Amédée Thierry a mis en pleine lumière ce rôle de notre patrie. Je cédais tout à l’heure au plaisir d’ajouter quelques traits à son tableau d’Héraclius; il n’y a rien à ajouter à son récit des guerres de Charlemagne contre les héritiers d’Attila. Ce second empire hunnique, affaibli par les victoires et la politique d’Héraclius, Charlemagne eut la gloire de le détruire. On ne connaissait guère jusqu’ici cette lutte des Francs et des Avars; il semblait que ce fût un épisode perdu dans une immense épopée. Au milieu des cinquante-trois expéditions qui remplissent la vie du grand empereur, quand on le voyait aux prises avec les Aquitains et les Lombards, avec les Saxons et les Arabes, qui donc songeait à le suivre aux bords du Raab et du Danube? L’historien d’Attila a pris plaisir à retrouver tous ces détails, et il a été soutenu dans sa tâche par le sentiment de la mission de la France. C’est là une inspiration très vive chez M. Amédée Thierry. Notre philosophie de l’histoire, en proclamant la nécessité des invasions, qui venaient mêler un sang jeune et vivace au sang corrompu du vieux monde, nous fait trop souvent oublier les malheurs de nos pères et les dangers qui menaçaient la culture intellectuelle et morale du Ve au IXe siècle. Nos formules abstraites nous cachent la vérité vivante : assurés du résultat, nous parlons fort à l’aise de ces effroyables catastrophes, et nous ne nous souvenons plus qu’il y avait là des hommes, des hommes qui souffraient, qui combattaient, pour qui le présent était incertain et l’avenir plein d’épouvante. Tel n’est pas M. Thierry. Peintre de la Gaule romaine et des Barbares, il est le défenseur naturel de la civilisation. Il prend part à ses luttes, il souffre de ses angoisses et se réjouit de ses triomphes. Partout où il rencontre ses représentans, à Rome ou à Constantinople, dans le camp d’Aétius ou dans l’ambassade de Maximin, il marche avec eux contre la barbarie, et lorsque les Gaulois d’abord, les Francs ensuite, prennent le premier rôle dans la lutte, lorsque la France, succédant à l’empire romain, est chargée des destinées du monde, on sent passer dans son récit l’enthousiasme contenu qui anime sa pensée. Je me suis rappelé, en lisant ce livre, ces beaux vers de Corneille, citation toute naturelle ici, puisque je l’emprunte à l’Attila du poète :

Un grand destin commence, un grand destin s’achève.
L’empire est prêt à choir, et la France s’élève.


Oui, l’empire choit, et la France s’élève; le sceptre passe de Rome à