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entière. Or sachez-le bien, la force et l’indépendance de l’Autriche sont nécessaires aux Slaves de Bohème. Prêtez-moi, je vous prie, votre attention. Vous savez quelle est cette puissance colossale qui occupe tout l’orient de notre Europe; presque inattaquable sur son propre sol, on la voit déjà menacer la liberté du monde et tendre à la monarchie universelle. Cette monarchie universelle, bien qu’elle s’annonce au profit des peuples slaves, moi, Slave de cœur et d’âme, je la regarderais comme un mal effroyable, comme une calamité sans fin et sans mesure. Je passe en Allemagne pour l’ennemi des peuples germaniques : on dira de même en Russie que je suis l’ennemi des Russes. Que m’importe? Au-dessus des intérêts de race j’ai toujours placé les intérêts de l’humanité et de la civilisation, et le simple projet d’une monarchie universelle exercée par les Russes n’a pas d’adversaire plus résolu que moi, non parce que ce serait une monarchie russe, mais parce que ce serait une monarchie universelle. Or, de tous les peuples situés au sud de l’Europe orientale, il n’en est pas un seul qui puisse résister à l’envahissement des Russes, si un lien vigoureux ne les réunit en faisceau... » Ainsi parlait un Slave, chef ardent d’une croisade inspirée par l’esprit slave; or les Roumains ne sont pas Slaves, ils sont comme nous de race latine, et l’on craindrait qu’une fois en possession de cette vie nationale, si ardemment désirée, ils n’en fissent usage au profit de la Russie! Pures chimères, encore une fois : il n’y a qu’une chose qui puisse profiter à l’influence moscovite, c’est l’inaction de l’Europe et par suite le découragement des Roumains.

J’ai l’air de m’éloigner du livre de M. Amédée Thierry; un des mérites de cette histoire, c’est précisément de provoquer la pensée et d’appeler des rapprochemens avec notre situation présente. Revenons pourtant à Héraclius. La fin de sa vie fut lamentable. Au moment même où, vainqueur de Chosroès, il se félicitait d’avoir écrasé en Asie les plus redoutables ennemis de la croix, au moment où il enfermait les Avars entre ces peuples nouvellement constitués, Serbes, Croates, Bulgares, et les réduisait à l’impuissance, un ennemi nouveau, plus terrible bientôt que tous les autres, celui qui devait un jour chasser la Panagia des églises de Constantinople, le mahométisme apparaissait dans le monde, le fer et le feu à la main. Mahomet avait assisté en silence à la lutte d’Héraclius et de Chosroès, tout prêt à se jeter sur le vaincu. Une fois Chosroès abattu et l’empereur Héraclius retourné à Constantinople, Mahomet projetait une expédition contre la Perse quand la mort l’arrêta (632). Son successeur, Abou-Bekr, attaque et la Perse et l’empire : tandis qu’il soumettait l’Irak arabique et préparait la conquête de la Perse, un de ses généraux réduisait sous le joug les provinces romaines de l’Asie, la Syrie, la Mésopotamie, la Palestine. Jérusalem était prise en 637;