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que joue la Russie en Europe depuis Ivan le Terrible et Pierre le Grand. Certes tout s’est bien compliqué à partir de cette époque ; les dissidences religieuses et les catastrophes politiques ont modifié tous les rapports internationaux. Depuis que les Turcs, maîtres de Constantinople, ont été arrêtés dans leurs conquêtes, la France, qui était restée si longtemps à la tête du mouvement des croisades, a pu donner le signal d’une politique toute nouvelle et s’allier à la Turquie dans l’intérêt de l’équilibre européen. Malgré des changemens si profonds, ce n’en est pas moins un phénomène très digne d’étude que la situation de l’empire d’Orient sous le règne d’Héraclius. Tous les dangers qui, durant le cours des siècles, menaceront successivement l’Europe orientale, apparaissent là réunis. Du XIIe au XVe siècle, l’empire d’Orient, et avec lui toutes les nations chrétiennes, sont occupés à combattre l’invasion asiatique, soit que la France, l’Angleterre, l’Allemagne, veuillent arracher la terre sainte aux soldats de Mahomet, soit que l’empire grec lutte contre les Turcs, soit enfin qu’après la prise de Constantinople, les héros de la Pologne et de la Hongrie, les marchands de Venise, les chevaliers de Malte et de Rhodes, attaquent et circonscrivent la puissance ottomane. Depuis le XVIe siècle, la Turquie n’est plus à craindre, mais déjà Ivan le Terrible convoite Constantinople, déjà se forme en Russie la tradition conquérante qui recevra de Pierre le Grand une impulsion nouvelle et sera léguée par lui à tous ses successeurs. Voilà de grands dangers, remarquez pourtant que ces dangers ne se sont déclarés que l’un après l’autre ; sous Héraclius au contraire, on aperçoit comme la complète ébauche de ces luttes séculaires, et les deux invasions, celle qui vient du Nord et celle qui vient d’Asie, marchent ensemble contre Byzance. Vous voyez que cette histoire du VIIe siècle touche de près aux plus vivantes questions du XIXe ; sachons donc ce qu’a fait Héraclius.

M. Amédée Thierry a consacré de curieuses pages à la politique d’Héraclius. Les Persans une fois réduits à l’impuissance, le vainqueur de Ninive s’occupe de rétablir des barrières entre l’empire et les Barbares du Nord. Il s’applique à diviser cette agglomération de races nomades qui menacent toujours d’engloutir le Midi, il s’efforce d’en détacher quelques peuples, et il les associe à la civilisation. Plusieurs états s’organisent, grâce à son génie fondateur, états indépendans, mais qui relèvent de son autorité, qui auront les mêmes intérêts à défendre, et qui assureront ainsi à l’empire une protection efficace. « Plus durable que ses conquêtes, dit très bien M. Thierry, cette création de la politique d’Héraclius est encore debout dans la principauté hunno-slave de Bulgarie, dont il ne fit que jeter les fondemens. Ge sont les établissemens d’Héraclius, destinés à couvrir la métropole de l’empire romain d’Orient, qui protè-