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beau lui expliquer que ni la France ni l’Angleterre ne défendent la cause de l’islamisme : le Bosnien s’obstine à voir une trahison odieuse dans l’alliance des puissances occidentales et de la Turquie. Les plus habiles diplomates de l’Europe essaieraient vainement de le convaincre. « Il m’écouta, dit M. Kapper, avec une scrupuleuse attention; quand j’eus fini de parler, il me prit la main, la serra affectueusement, et me dit ces seuls mots en hochant la tête : « Il est possible que vous ayez raison, mais vous n’êtes pas un raia. » Ce n’est pas là un fait isolé. M. Kapper a recueilli les mêmes sentimens chez tous les chrétiens de l’empire turc. Aux yeux des raias, toute tentative d’union entre les chrétiens et les musulmans est une chimère; ils sont persuadés que les musulmans n’admettront jamais les chrétiens à partager leurs droits dans l’état, que les lois les plus formelles à cet égard seront impuissantes à transformer les mœurs, à vaincre les préjugés de religion et de race. L’événement donnera-t-il un démenti à ces appréhensions? Je ne sais; mais quand on lit les curieux renseignemens fournis par M. Siegfried Kapper, on comprend que, malgré nos victoires en Crimée, l’ambition moscovite conserve en Orient des armes bien puissantes. La Russie apparaît aux chrétiens de la Turquie comme une libératrice; c’est à nous de prendre sa place. Ce qu’elle fait par esprit de convoitise, nous le ferons avec désintéressement, et les populations du Danube ne tourneront plus leurs yeux du côté de Saint-Pétersbourg. Telle est la conclusion qui se dégage naturellement des récits de M. Kapper, et cette conclusion est d’autant plus remarquable que l’écrivain est libre de préjugés : il a étudié les provinces chrétiennes de l’empire ottoman sans parti pris contre les Turcs, il est sympathique à la cause des puissances occidentales, il désire le succès de cette cause, et il raconte simplement les faits dont il a été témoin. On voit quelle inspiration sérieuse tous ces écrits ont empruntée aux événemens de ces dernières années. Études sur la situation actuelle, recherches sur l’histoire des négociations et des luttes provoquées par ces problèmes séculaires, telles sont les deux classes d’ouvrages qu’il est permis de rapporter à cette préoccupation de la pensée publique. Il y en a une troisième, et les ouvrages qui la composent méritent une place à part : ce sont ceux qui, n’ayant pas été écrits en vue des questions du moment, empruntent pourtant à ces questions un intérêt plus vif et des lumières nouvelles. Occupé à fouiller le sol de la vieille Gaule, un historien rencontre sur sa route une grande figure qui appartient aux contrées du Danube; il interroge sa vie, son œuvre, ses héritiers, et les problèmes de nos jours éclairant tout à coup les ténèbres du passé, il aperçoit entre ce personnage et nos affaires présentes des relations qu’on ne soupçonnait pas. Je