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bustes, et quelquefois la couleur noire du basalte dans lequel on les a taillés. Au Vatican, une de ces hideuses figures égyptiennes qu’on appelle des typhons a été affublée de la peau du lion de Némée, comme Hercule. Il y a dans le même musée plusieurs Isis romaines ; on y remarque facilement les altérations que le type égyptien a subies. Ainsi jamais les Égyptiens n’ont donné de voile à Isis ; mais quand le génie métaphysique des Grecs eut fait de l’épouse d’Osiris le symbole de la nature, ils la supposèrent voilée. De là une phrase célèbre placée dans la bouche d’Isis : « nul n’a soulevé mon voile. » Les sculpteurs romains, qui étaient sous l’empire de cette conception abstraite, entièrement étrangère à la théologie plus simple de l’Égypte, eurent soin de donner à Isis un voile. La remarquable Isis du corridor Chiaramonti au Vatican est voilée. Il ne lui restait des attributs égyptiens que les colliers qui descendent sur sa poitrine et la fleur de lotus dont sa coiffure était ornée. Dans une autre partie du même musée, une tête d’Isis, d’une disposition assez élégante, porte aussi le voile et la fleur de lotus. Celle-ci est formée ou plutôt indiquée par une touffe de cheveux placée au-dessus du front de la déesse : procédé ingénieux de l’art gréco-romain que l’art hiératique de l’Égypte n’aurait pas imaginé.

Ces transformations montrent combien la religion égyptienne s’était altérée à Rome, et combien on l’y connaissait mal. Les Grecs ne l’avaient guère mieux connue. La marque la plus éclatante de leur ignorance en ce genre est d’avoir inventé un prétendu dieu égyptien du Silence, posant sa main sur ses lèvres, qu’ils nommèrent Harpocrate, et cela à l’occasion d’un hiéroglyphe représentant un homme portant la main à sa bouche, ce qui est l’hiéroglyphe de la parole. Les Romains et les anciens en général se firent presque toujours une idée assez fausse de la religion égyptienne. On peut s’en convaincre en comparant ce qu’ils disent avec le témoignage des monumens interprétés par la science nouvelle que Champollion a créée. Tantôt les anciens s’exagéraient la profondeur des mythes égyptiens, et y retrouvaient les abstractions philosophiques qu’ils y avaient mises eux-mêmes : c’est ce qui est arrivé par exemple à Plutarque ; tantôt ils parlaient de cette religion avec un mépris non moins exagéré, affirmant que les Égyptiens adoraient des animaux et des plantes, l’ail et le poireau. Les Égyptiens n’adorèrent jamais ni l’ail ni le poireau[1]. Ils n’adoraient pas des animaux, mais des dieux représentés avec une tête ou même un corps entier d’animal,

  1. Je crois pouvoir expliquer cette assertion si souvent répétée, bien que totalement dénuée de fondement. Nulle trace d’un tel culte n’a jamais été aperçue sur les monumens de l’Égypte. L’erreur est provenue, je crois, d’un hiéroglyphe mal compris, celui qui exprime l’idée de temple par un carré désignant un édifice, et dans lequel est un poireau. Le poireau est le signe de la blancheur, et l’hiéroglyphe tout entier veut dire maison blanche ; mais pour les Romains il a pu sembler vouloir dire la maison du poireau. De là l’opinion que des temples étaient consacrés à ce végétal ou à d’autres semblables, et qu’ils étaient adorés.