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du Marché aux bœufs dont j’ai parlé, où l’image de Géta a été effacée comme son nom. Caracalla ne permit pas même à ce nom proscrit de se cacher parmi les hiéroglyphes. En Égypte, ceux qui composaient le nom de Géta ont été grattés sur les monumens.

Les bas-reliefs de l’arc de Septime-Sévère retracent ses victoires en Orient. On y voit son entrée à Babylone et la tour du temple de Bélus. Les armes romaines étaient encore conquérantes, mais ne devaient pas l’être longtemps. Du reste, l’empereur seul et l’armée pouvaient s’enorgueillir de ces victoires, non le peuple romain, qui, lui, était conquis par la servitude. Une nation ne saurait être très fière de ce qu’un despote accomplit de grand en son nom : c’est l’œuvre du maître, ce n’est pas la sienne. Comme sa volonté ne compte point, elle ne saurait revendiquer sa part de gloire dans des guerres entreprises et conduites sans la consulter. Si les Romains éprouvaient de l’orgueil en présence de ces tableaux de la gloire de Sévère, cet orgueil était risible, ainsi que le serait l’orgueil d’un esclave qu’on promènerait dans un char triomphal.

Je passe à Caracalla, que l’arc de triomphe paternel a introduit dans cette histoire comme empereur fratricide, et que le moment de peindre est arrivé.

Septime-Sévère laissa deux fils : Géta et Bassianus, surnommé Caracalla, du nom d’un vêtement long qu’il aimait à porter et à donner au peuple. Caligula avait tué son cousin le jeune Tibère, Caracalla tua son frère Géta. Ce sont les mœurs fratricides du sérail. Le despotisme oriental, en s’établissant à Rome, y amenait les crimes de l’Orient.

A en croire Spartien, Caracalla n’aurait pas eu ces instincts précoces de férocité que trahit Commode enfant. Son enfance fut douce et aimable. Il pleurait quand il voyait les condamnés livrés aux bêtes dans l’amphithéâtre; mais la mauvaise figure qu’a déjà Caracalla dans les bustes où on le représente encore adolescent me porte à penser que cette douceur était feinte et cette sensibilité hypocrite. On dit bien aussi qu’après avoir fait périr son frère, toutes les fois qu’il voyait l’image ou entendait le nom de ce frère, il versait des larmes. Qui pourrait croire à la sincérité des larmes de Caracalla? Caracalla ressemblait aux petits tigres qui jouent avec grâce jusqu’au jour où l’âge a développé leur appétit naturel du sang. Si Caracalla obéit une fois à un bon sentiment, ce fut quand il éleva un portique où étaient représentés les exploits guerriers de son père.

Spartien a dit : Nihil inter fratres simile, les deux frères n’avaient rien de semblable. Au physique du moins ils se ressemblaient. Pour juger de cette ressemblance, il ne faut pas comparer aux rares images de Géta les bustes dans lesquels Caracalla est représenté.