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variés, les uns parce qu’ils avaient plaisanté, les autres parce qu’ils n’avaient rien dit, punissant la parole et le silence. Il s’enrichit par des proscriptions, moyen qu’avaient employé les destructeurs de la république, et auquel les successeurs de la république ne renonçaient pas. Par son ordre, on tua la femme et les enfans de chacun de ses deux compétiteurs. Il fit jeter devant sa tente et tailler en quartiers le corps de Clodius Albinus. Montant le cheval du vaincu, il força l’animal épouvanté à fouler le cadavre de son maître. Enfin il fit périr sans jugement un grand nombre de personnages considérables, — Spartien en cite quarante-trois, — et sans doute un nombre bien plus grand encore de citoyens obscurs. Selon cet auteur, la jeunesse de Septime-Sévère avait été pleine de crimes et de débordemens. Cependant Sévère fut regretté et mérita de l’être, par comparaison avec ses successeurs Caracalla et Héliogabale, et parce qu’au moins il défendit l’empire. Rien ne montre mieux à quel abaissement Rome était descendue que la justice de ces regrets.

La figure de Sévère exprime la fermeté. En effet, il sut faire respecter la discipline. Il étouffa une grave sédition qui avait éclaté presque aux portes de Rome, près des Saxa rubra, au bord du Tibre, là où le christianisme et Constantin devaient triompher du paganisme et de Maxence. Cependant Sévère lui-même ne put empêcher les soldats de demander au sénat 10,000 sesterces, et il ne sut ce jour-là désarmer la sédition qu’en la payant. Il est vrai que les soldats invoquaient le souvenir d’Octave, qui en avait donné autant à ceux qui l’avaient amené à Rome. On voit que les plus mauvaises traditions du régime impérial remontaient au fondateur de l’empire des césars.

Le camp des prétoriens, ce lieu où naguère on débattait les conditions de l’achat du pouvoir souverain, vit un spectacle auquel il n’était pas accoutumé : les gardes prétoriennes, qui étaient les janissaires de l’empire romain, remplacées par d’autres troupes. Le Forum vit passer l’empereur allant du Capitole au Palatin, et faisant porter devant lui, renversés, les étendards qu’il avait enlevés aux prétoriens. On put s’applaudir alors qu’une tyrannie fût détruite par un tyran; mais cette joie ne devait pas durer. Sévère lui-même fut obligé de rétablir les prétoriens et d’en quadrupler le nombre : de douze mille ils furent portés à cinquante mille.

Cet homme ferme et dur ne pouvait rien contre la corruption qui avait atteint l’armée. Une lettre de Sévère au gouverneur de la Gaule contient une satire amère de cette corruption. « Tes soldats vagabondent, tes tribuns se baignent au milieu du jour[1]. Ils ont pour salles à manger les cabarets, pour chambres à coucher

  1. C’était un grand signe de mollesse de se baigner avant le soir.