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illustres, ne pouvait mieux finir que par une apothéose. De tous ces personnages glorieux, le plus grand aux yeux des hommes et des immortels est celui qui a su le mieux garantir son cœur des mouvemens de la passion, celui qui, élevé au rang de roi, a personnifié en lui le devoir et la justice. Son dévouement à ses sujets et à ses proches a été si complet, qu’il n’a pas même voulu abandonner un chien, animal immonde, qui s’attachait à ses pas ! Après ce long récit de tant de batailles, de tant de meurtres accomplis avec tous les raffinemens d’une vengeance barbare, cette glorification de la sensibilité et de la compassion peut sembler étrange. Elle est naturelle cependant, parce qu’elle est la moralité même qui ressort de l’épopée. Étant donné un fait historique dont il ne pouvait ni effacer le souvenir ni amoindrir la portée, le brahmanisme l’a en quelque sorte enveloppé de ses enseignemens ; il y a adapté une sorte de philosophie de l’histoire. Au nom de la théorie de l’irresponsabilité humaine développée par Krichna, il a pu absoudre ses héros privilégiés, les fils de Pândou, dont l’ambition a été la première cause de cette guerre impie. En montrant ces mêmes princes prêts à déposer les armes au moment décisif, effrayés des suites de la lutte, attendris à la pensée des maux que vont causer ces combats interminables, le brahmanisme cherche à les excuser et à reporter sur les adversaires des Pândavas tout l’odieux de ces meurtres atroces. Les fils de Pândou pensent et agissent, les fils de Dhritarâchtra ne connaissent que l’action. Ces derniers, qui vivent dans la capitale, n’ont aucune vertu ; l’orgueil les aveugle, ils sont emportés, haineux, violens. Les Pândavas, élevés dans la forêt par les brahmanes, sont ornés des plus belles qualités ; s’ils commettent des fautes, s’ils sont joueurs, ardens à combattre, avides de frapper avec la flèche ou avec le glaive, ils écoutent cependant avec docilité les conseils des anachorètes, et les enseignemens des sages élèvent toujours leur esprit vers les choses divines. La science religieuse les purifie de leurs imperfections ; ils marchent dans la voie dont les peuples aryens ne peuvent s’écarter sans faillir à leur destinée. Voilà pourquoi la tradition les appelle de pieux héros malgré leurs péchés. Et puis la doctrine nouvelle exposée par Krichna, qui va se répandre peu à peu dans l’Inde et donner naissance à une véritable secte à demi hétérodoxe, cette doctrine d’un Dieu compatissant qui veille sur les choses d’ici-bas et se charge de tout conduire, a trouvé dans une famille princière régnant sans rivale sur un monde pacifié l’appui dont elle avait besoin. Avec les descendans d’Ardjouna établis à Hastinâpoura, au centre de l’Inde, elle deviendra dominante, et ceux qui liront l’histoire des fils de Pândou apprendront en même temps à s’initier aux secrets de la science qui consiste à agir dans le sens des devoirs de sa caste sans s’occuper du résultat des œuvres. Cette soumission