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poids de la malédiction lancée par Gândhârî, la mère des Kourous, l’épouse de Dhritarâchtra. Trente-six ans plus tard, il arriva que trois vieux sages des temps anciens, se rendant à la ville de Dvârakà, — où régnait alors Krichna, — furent rencontrés par des jeunes gens du pays. Ceux-ci habillèrent en femme un des fils de Krichma nommé Çâmba, et, l’ayant présenté aux trois solitaires, leur demandèrent en riant : « De quoi accouchera cette femme ? » Ces sages répondirent : « D’une massue qui causera la ruine de tous les gens de la famille de Krichna. » Çâmba produisit en effet une massue, mais il la remit au roi, qui, l’ayant réduite en poudre, la jeta dans la mer, et par la voix d’un crieur public défense fut faite à tous les habitans de fabriquer aucune espèce de liqueur enivrante sous peine d’être empalés. Cependant de funestes présages se montraient de toutes parts ; de gros rats, parcourant les rues et les maisons, rongeaient les cheveux et les ongles de ceux qui dormaient ; des oiseaux à la voix stridente poussaient jour et nuit des cris plaintifs ; enfin un fantôme terrible, invulnérable, partout présent à la fois, hantait les maisons de la ville, et personne ne pouvait dire ni d’où il venait, ni où il allait. L’impiété se répandait aussi parmi le peuple, qui ne respectait plus les brahmanes ni les dieux. À ces signes, Krichna reconnut que la malédiction de Gândhâri allait s’accomplir ; il commanda à son peuple d’aller en pèlerinage à un lieu saint, pour détourner, en partie du moins, les calamités qui le menaçaient. Tous les gens de Dvârakâ furent bientôt campés au lieu choisi par Krichna avec leurs chars, leurs chevaux et leurs femmes ; ils avaient emporté avec eux des vivres en abondance et aussi des liqueurs fortes. Au milieu d’un repas champêtre qui avait été servi en plein air, les guerriers de Dvârakâ se prirent de querelle. Des mots on en vint aux coups ; Krichna voulut séparer les combattans, et à défaut d’armes il saisit un brin d’herbe. Ce brin d’herbe devint immédiatement une massue, et comme il avait vu tomber dans ce conflit son propre fils et son écuyer, la colère s’empara du demi-dieu. Le voilà qui frappe à droite et à gauche ; la mêlée devient générale, et bientôt s’accomplit la malédiction prononcée contre la famille de Krichna. Celui-ci avait échappé au massacre avec deux ou trois personnages illustres ; mais son temps était marqué. Un jour qu’il reposait à l’ombre d’un arbre, dans la forêt, un chasseur, — il se nommait Djarâ, la Caducité, — le prit pour une gazelle, et le perça d’une flèche[1].

De cette légende merveilleuse ne peut-on pas conclure que les gens de la famille de Krichna s’adonnaient à l’intempérance, et que l’ivresse amena à la suite d’un repas un combat meurtrier dans

  1. Chant du Maosaloparva, lectures 1, 2 et 3.