Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/551

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se montrait grandement abattu. — Ayant regardé tous les points de Fliorizon et vu la terre vide, resté seul de tous ses guerriers, et apercevant de loin les Pândavas heureux de l’issue du combat, au comble du succès, et qui poussaient des clameurs triomphantes de tous côtés, — entendant aussi le bruit des flèches lancées par ces héros aux grands cœurs, — Douryodhana se sentit défaillir, ô grand monarque, et il songea à la retraite, car il n’avait plus ni armée, ni chars, ni chevaux[1] ! »

En lisant le récit de cette immense déroute qui suit un dernier retour offensif de la part des fils de Dhritarâchtra, on songe naturellement à ce romance espagnol dans lequel un poète inconnu peint le roi Rodrigue vaincu pour la huitième fois par les Maures :

 
               Las huestes del rey Rodrigo
               Desmayan y huian,
               Cuando en la octava batalla
               Sus enemigos vencian
[2].

Comme le roi Rodrigue, Douryodhana cherche des yeux ses capitaines dont aucun ne paraît, et il promène ses regards sur ce champ de bataille où le sang coule à torrens[3] ; puis, fuyant au hasard, le prince vaincu entend retentir les conques des Pândavas, qui sont à sa poursuite. Il s’enfonce dans la forêt, il se jette au milieu d’un lac, et là, par un enchantement, il échappe à ses ennemis. Les eaux du lac sont devenues solides pour lui, il y trouve un asile qui le met à l’abri de toute crainte de la part des hommes ; mais à peine a-t-il pu reposer quelques instans au fond de son marais, comme un sanglier blessé, que des paroles amères viennent le relancer. Youdhichthira, l’aîné des Pândavas, le pique par ses reproches ; il l’excite au combat, le harcèle de telle sorte que le prince vaincu se décide à sortir de sa retraite. Le moment est venu où Douryodhana, qui a provoqué cette guerre impie, va porter la peine de la haine qu’il a vouée aux fils de Pândou et des maux qu’il leur a fait souffrir. Il lui faut combattre à coups de massue contre Bhîmaséna, qui a juré autrefois de le faire périr de la mort d’une bête fauve et de boire son sang. Le duel dure bien longtemps ; à la fin, c’est Bhîmaséna qui a le dessus, et le terrible Pândava se venge à la manière d’un Mohican : le chevalier du moyen âge s’efface devant le sauvage. N’oublions pas que l’écuyer Sandjaya continue de raconter à Dhritaràchtra, au père de la victime, ces détails odieux du combat à la massue :

  1. Chant du Çalyaparva, lecture 30, vers 1 566 à 1 585.
  2. « Les troupes du roi Rodrigue — perdaient courage et fuyaient, — lorsque, dans la huitième bataille, — ses ennemis remportaient la victoire. »
  3. « Mira por los capitanes — que ninguno parescia, — mira el campo tinto en sangre — la cual arroyos corria. »