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seil devant leur père sur les avantages d’une guerre prochaine, les Pândavas de leur côté ne restent pas inactifs. Krichna, le sage et puissant roi du pays de Mathoura, qui va bientôt s’élever à la hauteur d’un dieu et se montrer comme un avatara de Vichnou, avait dissuadé les fils de Pândou d’entreprendie la guerre ; mais il avait promis de les aider, si la prise d’armes avait lieu. Au moment décisif, l’aîné des Pândavas, Youdhichthira, se souvient de la promesse et dit à son ami :

« Voilà qu’il est venu le temps des amis, et je ne vois que toi qui puisses nous sauver dans ces calamités ! — Ayant eu recours à toi, Krichna, nous réclamerons au fils de Dhritarâchtra et à ses conseillers la part qui nous est due. — Comme tu protèges tes peuples au milieu de tous les périls, de même aussi, que les Pândavas soient gardés par toi ! Sauve-nous de ce grand danger. — Et Krichna répond : Me voici, ô grand héros ! dis ce que tu veux me dire, et je ferai tout ce que tu me diras[1]. »


Avec Youdhichthira, prince magnanime, connu sous le nom de roi de la justice, Krichna parle longuement des devoirs des souverains dans le gouvernement des peuples et sur le champ de bataille. Il tente un dernier effort près des Kourous pour amener la paix, et quand il a été témoin de la violence et de l’obstination des fils de Dhritarâchthra, il revient auprès de ses protégés les Pândavas. Le conseil se réunit de nouveau, mais nous devons renoncer à analyser les discours prononcés dans l’assemblée : paroles sérieuses et sages, pleines de bons avis, invectives ardentes, prophéties terribles, tous les accens du cœur et de l’âme y retentissent tour à tour ; on dirait la grande voix d’une cataracte que couvrent par instans les coups de tonnerre et le mugissement des vents déchaînés dans la forêt. Il nous faut laisser en arrière ces belles pages et nous placer avec Krichna au milieu des fils de Pândou. Ceux-ci ont rassemblé sept armées complètes ; l’ennemi compte des forces bien plus considérables encore. Le moment arrive où ces troupes pleines d’ardeur et animées de la colère qui enflamme leurs chefs vont en venir aux mains. L’aîné des Kourous, Douryodhana, appelle à ses côtés son précepteur et son maître, Drona, — celui qui jadis présida au tournoi dans lequel les jeunes princes, aujourd’hui près de se combattre, avaient montré à tous les regards leur habileté dans l’art de manier les armes. Il lui fait le dénombrement des guerriers rangés sous les bannières des Pândavas, et quand s’achève ce prologue à la manière d’Homère, « pour exciter l’ardeur du prince, l’aïeul des Kourous, le grand-père Bhîchma, faisant entendre un cri pareil au rugissement du lion[2], souffla dans sa conque, lui qui est ter-

  1. Chant de l’Oudyogaparva, lecture 71, vers 2 582 et suivans.
  2. Ou plutôt le cri du lion, le cri de guerre.