Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/533

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que jour invoquant contre l’autorité des mandarins la protection du canon britannique, et entraînant ainsi de proche en proche la puissance qui aurait le devoir de les défendre à une guerre de destruction contre la souveraineté impériale, à une conquête dont ils seraient les principaux instrumens. Il ne faudrait pas de bien longues années peut-être pour que ce prodigieux événement vînt à s’accomplir. Et comment accuser alors l’ambition britannique? La faute ne serait-elle pas tout entière à ceux qui auraient forcé l’Angleterre de régler toute seule une affaire qu’elle demande aujourd’hui à régler en commun avec toutes les puissances maritimes?

Il n’en sera pas ainsi : on ne voudra pas que l’équilibre des intérêts du monde civilisé puisse jamais être menacé au point où il le serait le jour où le poids immense d’un empire de trois cents millions d’âmes tomberait tout entier dans un seul des plateaux de la balance. Si ce péril n’est pas pour nous, nous devons l’épargner à nos neveux, et les risques d’une action commune ne sont pas ici de ceux devant lesquels il soit permis à de grands peuples de reculer.

La situation n’est plus ce qu’elle était en 1844, quand la France s’est présentée pour recueillir sa part de ce que l’Angleterre avait semé. La guerre de l’opium avait été une guerre toute commerciale et purement anglaise : nulle autre puissance n’avait eu à y prendre part. La question d’aujourd’hui, comme nous l’avons fait voir, touche à de plus hauts intérêts, à des intérêts vraiment européens. Nous ne pouvons (et les Américains pas plus que nous, ce nous semble) laisser à un seul peuple le soin de la résoudre, et prétendre ensuite être associés à des avantages que nous n’aurions payés d’aucun sacrifice. Nous ne pouvons guère non plus nous borner, avec quelques soldats et quelques navires, à un semblant de coopération : ni l’Europe, ni la Chine même ne s’y tromperaient, et cette démonstration, sans écarter le danger, pourrait n’avoir qu’un assez mince résultat. Mieux vaudrait déserter à jamais ces mers lointaines, y laisser le champ libre aux nations assez fortes, assez prévoyantes, assez confiantes en elles-mêmes pour faire les sacrifices nécessaires au développement de leur puissance; mais, nous le répétons, il n’en sera pas ainsi : nous verrons tous les peuples intéressés dans cette grande affaire prendre l’engagement de concourir, chacun selon la mesure de ses forces, à un même but qui serait nettement défini par la lettre d’un traité, et rien de plus simple que l’esprit dans lequel ce traité devrait être conçu.

Les puissances signataires s’engageraient à exercer sur la Chine une action morale et matérielle à l’effet d’obtenir d’elle pour les Européens le droit de circuler, trafiquer, résider et posséder sur tous les points de l’empire, le droit d’y professer et d’y enseigner leur