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était subversive de tout le système du gouvernement chinois. Le précédent une fois établi, aujourd’hui on aurait une lorcha, demain on en aurait deux cents; on aurait à Canton une population chinoise indépendante des mandarins, et si cette population, dans son contact avec les barbares, apprenait d’eux cet art de la guerre qu’ils poussent si loin, qui les empêcherait de venir un jour imposer leur autorité à leurs compatriotes, hors d’état de leur résister? Quelques raisonnemens de ce genre ont dû sans doute passer dans l’esprit de Yeh et de ses mandarins, et les auront poussés à commettre l’outrage dont la lorcha l’Arrow a été victime. Si l’on se place à leur point de vue exclusivement chinois, si l’on entre pour un moment dans leur constante pensée de prévenir tous les rapports qu’il n’est pas impossible d’éviter entre Chinois et Européens, d’empêcher qu’aucun Chinois puisse se soustraire à l’autorité impériale, et douter, au moins en principe, du caractère divin de cette autorité, leur conduite est facile à comprendre. C’est une manifestation nouvelle de la vieille incompatibilité entre l’esprit européen et les prétentions chinoises à la supériorité universelle. D’un autre côté, on comprend également la résolution des autorités anglaises d’obtenir à tout prix raison de cette insulte et de mettre les prétentions de Yeh à néant. Soixante mille Chinois sont venus s’établir à Hong-kong et y ont pris droit de cité; on n’aura aucune sécurité, si on ne se les assimile pas. Or, pour se les assimiler, il faut, comme l’écrit sir John Bowring, qu’ils retirent quelques avantages de leur qualité de sujets anglais. Si on ne les protège point, si on ne les met pas à l’abri de la jalouse violence des mandarins, le caractère européen, toute pensée de propagande politique et d’agrandissement mise à part, recevra une grande atteinte. Le prestige qui l’environne sera perdu, et ce ne sera plus seulement à Canton, mais à Shanghaï, et partout où se trouveront des Chinois, qu’on sera exposé aux tentatives malfaisantes qu’inspireront aux mandarins leurs mauvaises passions ou leur haine pour tout ce qui est européen. En s’opposant aux prétentions de Yeh, les Anglais n’ont donc pas fait un acte d’égoïsme politique, ils ont agi dans l’intérêt de la communauté européenne tout entière.

La lutte est maintenant engagée; les détails en sont d’hier, chacun sans doute les a présens à la mémoire. La résistance que les Anglais ont rencontrée est évidemment l’effort suprême du gouvernement chinois, de l’oligarchie des mandarins, pour conserver leur pouvoir sur une société dont la direction leur échappe, et que le contact des barbares contribue à soustraire chaque jour davantage à leur autorité. Cet effort, ils n’auraient pu le tenter autre part qu’à Canton. Partout ailleurs la puissance des Européens et les avantages que rapportent les relations entretenues avec eux sont trop bien appré-