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Malgré ces restrictions, le décret fut accueilli avec joie et reconnaissance par toute la chrétienté chinoise; malheureusement il ne fut pas toujours exécuté, et si nous avons vu MM. Hue et Gabet, aux termes de ce décret, ramenés du Thibet à Canton, nous avons vu aussi M. Chappedelaine martyrisé au Kouang-sé, sans qu’on tînt aucun compte des prescriptions de l’autorité souveraine. Pour en assurer l’exécution, nous n’avions d’autre garantie que la bonne foi de l’empereur et l’omnipotence prétendue de sa parole. Il aurait fallu quelque chose de plus, car en Chine comme en Russie l’empereur est souvent bien loin !

Les Anglais ne s’en rapportaient pas exclusivement à cette parole, ils s’appuyaient surtout sur une force navale et militaire considérable, dont on venait de sentir toute la valeur; puis ils occupaient encore la grande et belle île de Chusan, à l’embouchure du Yang-tze-kiang, et attendaient là la complète exécution du traité qu’ils venaient de conclure. Les Chinois du reste se montraient très accommodans. Était-ce défaut de perspicacité? n’apercevaient-ils pas toute la portée du coup qu’ils venaient de recevoir? ou bien était-ce l’obséquiosité de gens qui plient devant l’orage, et caressent l’ennemi qu’ils n’osent affronter en face, se préparant à l’attaquer de nouveau dès qu’il aura le dos tourné? C’étaient probablement les deux choses à la fois. Ce qui les pressait le plus, c’était d’obtenir l’évacuation de Chusan, et à cet effet ils offraient d’avancer l’époque du paiement des frais de la guerre. Ils supportaient de voir les Anglais à Hong-kong, îlot stérile et incommode, qui peut encore être considéré comme appartenant à la rivière de Canton, à cette rivière depuis tant d’années abandonnée au contact impur des barbares, et où l’on avait si bien su jusqu’alors les amuser et les contenir; mais Chusan était trop près des grandes artères de l’empire, du grand fleuve, du Grand-Canal; c’était une île trop belle et trop riche, capable de recevoir et d’entretenir une population considérable, et qui, anglaise ou anglo-chinoise, serait une source d’alarmes perpétuelles. Peut-être les Anglais évacuèrent-ils Chusan un peu vite. Ils ne tardèrent pas à s’apercevoir de leur faute; le ton et les allures des autorités de Canton changèrent en effet dès le lendemain de cette évacuation, et montrèrent encore une fois qu’il ne faut rien attendre de la loyauté des Chinois, gens pour qui l’intérêt est tout, et qui n’obéissent qu’au calcul et à la nécessité. Délivrés de leurs inquiétudes sur Chusan, ils ne songèrent plus qu’à reprendre la position d’où les malheurs de la guerre les avaient fait descendre, et à reconquérir pied à pied les avantages de cet isolement auquel ils attachent tant de prix.

D’après le traité, Canton et ses environs devaient être ouverts aux