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politique a été suivie pendant trois siècles, et quel succès elle a obtenu, servie comme elle l’était par les événemens, par l’ignorance où l’on était en Europe des affaires de la Chine, et surtout par les honteuses faiblesses des négocians européens, toujours prêts à faire bon marché de leur honneur, dans l’intérêt d’une aveugle cupidité. On comprend difficilement aujourd’hui que durant ces trois siècles l’Europe se soit ainsi abaissée devant la Chine, et qu’elle ait patiemment courbé la tête sous les avanies calculées et les fantaisies insultantes des mandarins; mais en se représentant ce spectacle journalier de nos humiliations en face d’une nation qui avait quelque droit de s’estimer elle-même, on en arrive aisément à s’expliquer le dédain profond dont elle s’est prise pour nous et le sentiment exagéré qu’elle a conçu de sa supériorité. Ce sentiment fait encore aujourd’hui le fond du caractère des Chinois dans leurs rapports avec les Européens partout où les circonstances ne leur ont pas fait ressentir le poids de nos armes.

Il est nécessaire de récapituler rapidement les circonstances successives qui ont amené ces rapports au point où ils en sont maintenant. Il faudra entrer dans des détails bien arides : ici, ni batailles, ni traités, ni provinces prises et reprises, aucun de ces grands événemens sur lesquels se fonde l’opinion qu’entretiennent les unes des autres les nations civilisées. La Chine n’a communiqué avec ces nations que par la porte de Canton, comme à travers le guichet d’un lazaret. Les opinions des Chinois, leur politique à notre égard, leurs préjugés contre nous, se sont formés par l’action lente et journalière des faits minutieux qui s’accomplissaient en face de cette espèce de corps-de-garde. Il faut donc, pour bien s’en rendre compte, pour apprécier sainement la situation actuelle, passer en revue avec soin tous ces incidens, quelque futiles qu’ils puissent paraître. Tout ce qu’on peut promettre est d’être le plus court et le moins ennuyeux possible.

Ce sont les Portugais qui, de tous les peuples d’Europe, ont été les premiers à nouer des relations politiques et commerciales avec les Chinois. En 1537, ils fondèrent leur établissement de Macao, dans la rivière de Canton, le seul que les Européens aient eu en Chine jusqu’à l’acquisition de Hong-kong en 1843. Or voici quelles étaient les conditions de cet établissement : les Portugais reconnaissaient n’être là que par la tolérance de l’empereur, et à ce titre lui payaient un tribut qu’ils paient encore aujourd’hui; le nombre des navires qu’ils pouvaient faire entrer dans le port était limité; enfin un mandarin chinois, établi dans la ville, devait administrer la population chinoise, trois ou quatre fois la plus nombreuse. Ce n’étaient pas, on le voit, de brillantes conditions : nous n’avons pas besoin