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la propagande religieuse en l’obligeant à se cacher. Forcés de revêtir les allures de proscrits et de criminels, nos missionnaires se sont vus dépouillés d’une grande partie de leur autorité sur des populations pauvres et peu éclairées qui ne comprennent pas toujours, et du premier coup, la sublimité du dogme de l’humilité chrétienne. Encore moins la lumière évangélique a-t-elle pu se répandre parmi les lettrés, livrés avant tout au culte de leurs intérêts, et peu soucieux d’échanger le matérialisme théorique et pratique qui leur rend la vie si commode contre une doctrine qui leur ferait perdre tous leurs emplois et appellerait toutes les colères du gouvernement sur leurs têtes. Il est donc vrai de dire que depuis cent cinquante ans le christianisme est en Chine tristement stationnaire; mais il ne meurt pas pour cela, et la foi se transmet dans des milliers de familles avec une fidélité héréditaire. C’est à conserver ce précieux germe, c’est à le faire fructifier que se dévoue chaque année une petite troupe d’apôtres partie des rivages de l’Europe, de la France surtout, pour braver des fatigues et des dangers de tous les jours, et endurer souvent les horreurs du martyre. Comme on aime à retrouver dans ces héros de la foi les vertus de nos soldats ! Quel champ de bataille aussi que celui sur lequel ils combattent! quelle cause et quel drapeau! Nous ne pouvons croire que leur dévouement demeure stérile, et qu’il ne prépare pas en Chine de meilleurs jours et de plus grandes destinées au christianisme.

Mais les marchands avaient suivi les missionnaires sur les côtes du Céleste-Empire. Le commerce est insinuant, il offre des avantages matériels auxquels bien peu sont insensibles, les Chinois moins qu’aucun autre peuple. C’est ce que les mandarins comprirent à merveille. Contre les prêtres chrétiens inaccessibles à la séduction, on avait employé la terreur : on ne pouvait écarter le commerce par des supplices. Lui opposer de simples prohibitions, c’était appeler la contrebande; lui ouvrir la porte toute grande, c’était s’exposer à une sorte d’envahissement qu’on ne serait plus maître d’arrêter. On fit donc la part du feu. Le commerce européen dut être limité à la rivière de Canton. Le nombre des Chinois auxquels ce commerce serait permis fut déterminé, on le restreignit autant que possible : dans le principe même, on avait voulu faire du trafic avec les barbares le privilège d’un seul négociant; mais ces restrictions, qui ont duré jusqu’aux dernières années, n’étaient que la moindre partie de tout un système d’avanies et d’humiliations imaginé par les mandarins pour mettre les Européens si bas dans l’opinion des Chinois, que le mépris devait contre eux à la longue une barrière plus puissante que les forts, les canons et les soldats de l’empereur. Il est curieux de voir avec quelle habile et infatigable persévérance cette