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Tout était prêt pour une insurrection, il ne fallait plus qu’un mot d’ordre et un homme; ils se présentèrent bientôt.

L’homme s’appelle Hung-tze-tzuen; l’idée, c’est une réforme religieuse, bientôt transformée en révolution politique.

Qu’on nous permette de donner quelques détails sur cet événement, qui, au milieu de tous ceux dont l’Europe a été agitée dans ces dernières années, a passé presque complètement inaperçu.

Un des faits les plus caractéristiques de la situation actuelle de la Chine est que le chef de cette vaste insurrection ne soit autre qu’un bachelier refusé.

Hung-tze-tzuen est né en 1813 dans le voisinage de Canton. Son père était cultivateur. Comme il témoignait du goût pour l’étude, ses parens se cotisèrent, selon l’usage, pour l’envoyer à l’école, où il resta jusqu’à l’âge de seize ans. On l’employa alors à la garde du bétail; mais il se dégoûta bien vite de cet humble métier, et devint maître d’école de son village. Désirant parcourir la carrière des lettrés, il passa avec succès ses premiers examens dans la ville de son district, et se rendit plusieurs fois à Canton, chef-lieu de la province, afin de s’y préparer à prendre le grade de bachelier. Il lui arriva (on croit que ce fut en 1833) d’entendre en cette ville un missionnaire européen qui prêchait dans la rue. Au même temps, un de ses compatriotes, converti au protestantisme, lui mit entre les mains quelques livres religieux écrits en langue chinoise, et contenant des chapitres de l’Ancien et du Nouveau-Testament, mêlés de réflexions. Il se contenta alors de parcourir ces livres, et les plaça dans sa bibliothèque. Ce fut en 1839 qu’il essuya un échec définitif dans l’épreuve du baccalauréat : il en tomba malade, et eut une série de rêves et de visions qui le firent regarder comme fou par ses amis.

Il venait d’assister aux graves événemens de Canton et à la guerre de l’opium, lorsqu’en 1843 il retourna aux livres qu’il n’avait fait que parcourir, et se mit avec un de ses amis à les étudier. Cette étude exalte son imagination : les lambeaux du christianisme offerts à ses regards lui apparaissent comme la doctrine de vérité, et lui apportent la clé de ses visions mystérieuses; il demeure convaincu que son âme a été appelée au ciel auprès de Dieu le père, de qui il a reçu la mission de réformer la religion des Chinois et de remplacer le culte des idoles par celui du vrai Dieu. Les mouvemens d’Hung-tze-tzuen deviennent assez confus jusqu’en 1847, où on le voit suivre à Canton les instructions de M. Roberts, missionnaire américain. Le spectacle lui est alors donné d’une expédition anglaise remontant la rivière pour obtenir réparation d’une clause violée du traité, et il assiste en même temps à une levée en masse de toute la