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Ainsi s’en vont les hommes : Alfred de Musset mourait hier à Paris, un autre écrivain disparaissait presque au même instant à Bruxelles, et si ce n’était pas un poète, c’était du moins un esprit courageux, honnête et sincère. C’était un écrivain qu’on a vu ici même soutenir la lutte au nom du bon sens et des idées modérées dans les momens les plus périlleux des dernières révolutions. M. Alexandre Thomas, qui vient de mourir tristement et obscurément en Belgique, avait quitté volontairement la France depuis plus de six ans ; il avait d’abord vécu en Angleterre dans un isolement laborieux. Il avait soutenu, si l’on nous passe le terme, les rudes combats de la solitude ; son esprit y avait succombé, et il est allé s’éteindre en Belgique. M. Alexandre Thomas a écrit quelques travaux remarquables, dont l’un est le tableau d’Une Province sous Louis XIV. Il a mieux fait, il a laissé dans sa vie d’écrivain un acte honorable et peu connu. À la veille de la révolution de février, il croyait avoir à se plaindre du ministre de l’instruction publique, et il avait écrit une brochure assez vive contre lui. Le jour de la révolution, au lieu de se faire un titre aux yeux des vainqueurs de ses agressions de la veille, il supprimait sa brochure, et il se mettait à son rang parmi les défenseurs de la cause qui venait de succomber.

La Belgique est un petit théâtre où s’agitent depuis quelque temps de grandes questions, celles qui ont le privilège de remuer le plus vivement les esprits, parce qu’elles touchent en définitive aux intérêts les plus élevés des sociétés contemporaines. Entre les partis, il ne s’agit plus même, à proprement parler, de politique ; il s’agit des rapports de l’église et de l’état, de l’indépendance et de l’action des deux pouvoirs, des prérogatives et du rôle pratique de chacun d’eux dans l’enseignement, dans l’administration de la bienfaisance. En un mot, il y a un antagonisme qu’on voit éclater à chaque pas, qui a son retentissement dans la presse et soulève tous les jours de vives polémiques, où les droits de la société civile sont soutenus ardemment aussi bien que ceux de l’église. C’est entre ces influences diverses ou hostiles que le ministère actuel, catholique par son origine et par sa nature, modéré d’inclinations, est obligé de maintenir un certain équilibre, ayant souvent à se défendre tout à la fois et contre les intempérances des cléricaux les plus extrêmes et contre les entraînemens d’un libéralisme exalté. Cette situation morale et politique de la Belgique se reflète tout entière dans la sérieuse et forte discussion qui s’est ouverte il y a quelques jours déjà au sein du parlement de Bruxelles à l’occasion d’une loi présentée par le gouvernement pour régler l’existence des établissemens de bienfaisance et déterminer les droits de la charité privée. Cette discussion n’est point finie encore, bien que nombre d’orateurs aient été entendus : — MM. de Theux, Malou, de Liedekerke pour le parti catholique ; MM. Rogier, Tesch, Verhaegen pour l’opinion libérale ; M. Alphonse Nothomb, ministre de la justice, pour le gouvernement. Il y a plusieurs années qu’on voit cette question de la charité grandir en Belgique, passionner les partis et solliciter une solution. Le cabinet de M. Henri de Brouckère avait élaboré un projet qui était évidemment dicté par un esprit de transaction, et dont le parlement belge fut un instant saisi. Ce projet disparut avec le cabinet qui l’avait préparé, et le ministère actuel à son tour présentait aux chambres il y a un an un nouveau projet, qu’il appelait également une œuvre de conciliation, une œuvre conçue, selon