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le dernier gouvernement qu’il rentrait en France, pour y mourir presque à la veille de la république, qu’il regrettait encore, a dit spirituellement M. Mignet, et qu’il n’aurait plus regrettée, s’il avait vu deux fois les mêmes événemens aboutir à la même fin.

Les lettres n’ont plus de fréquens bonheurs, elles ont au contraire des deuils imprévus, qui laissent une indicible tristesse. C’est ainsi qu’on vient de voir s’éteindre tout à coup un des plus brillans esprits, une des plus étincelantes imaginations de ce temps, l’auteur de Rolla et du Caprice, Alfred de Musset. Ce n’est pas l’âge qui l’a courbé, ce)ui-là, et qui a glacé la vie dans ses veines ; il fini sa journée avant que le soir fût venu, et il semble emporter avec lui la grâce d’une génération littéraire. Alfred de Musset ne chantait plus depuis quelques années ; il était là pourtant, image survivante d’une jeunesse qu’on ne pouvait se résoudre à croire évanouie. Il vient à peine de disparaître de cette sphère terrestre, et on voit mieux aujourd’hui le vide laissé par ce génie aimable et vigoureux. Ce n’est pas cependant qu’il ait multiplié les œuvres : tout ce qu’il a fait tient en quelques petits volumes. Ses nouvelles occupent moins de place qu’un roman vulgaire ; ses vers, on peut les lire en quelques heures ; ses coméd’es, pleines d’une fantaisie éblouissante et d’une capricieuse observation, forment un théâtre qu’on peut porter dans la main : mais ces pages contiennent la plus fine, la plus subtile et la plus énergique essence de la poésie. Dans ces œuvres, il faut citer d’abord la Coupe et les Lèvres, les vers de ISamouna sur don Juan, les poétiques élans de Rolla, les quatre ISuits, qui forment tout un poème de la passion désolée, l’Espoir en Dieu, la satire sur la Paresse, Fantasia, le Ca1)rice, la Quenouille de Barberine, etc. Plus jeune que les premiers des poètes contemporains, Alfred de Musset a une physionomie vivante et distincte auprès d’eux. Il a été leur frère puîné par l’âge, il a été leur émule par tous les dons de l’inspiration. Il a eu surtout cette originalité de rester un poète essentiellement français, de continuer en quelque sorte, sous une forme nouvelle, les traditions du génie familier de notre pays. L’auteur de Frédéric et Bernerette a du génie français la netteté, la souplesse, l’humeur libre et facile, le tour délié et vif ; il y joint une mélancolie fine, une grâce cavalière et tendre, l’accent vibrant de la passion, enfin je ne sais quelle flamme allumée, dans l’origine peut-être, à une lecture de Byron, et bientôt devenue une flamme toute personnelle, jaillissant du foyer intérieur. La spontanéité fut un des dons de ce poète. Ce qu’il sentait, ce qui lui venait à l’esprit ou au cœur, il l’exprimait, et il n’allait point au-delà ; il ne cherchait pas à prolonger par des développemens artificiels et déclamatoires l’inspiration qui expirait sur ses lèvres. Lors même qu’il l’aurait voulu, il ne l’aurait pas pu sans doute, tant c’était une nature de premier mouvement, nerveuse, impressionnable, prompte aux défaillances comme aux retours soudains, et c’est ce qui explique sa sobriété en même temps que cette couleur originale et vive de ses œuvres. C’était un esprit français, disons-nous ; il ne le montra jamais mieux que dans ces quelques vers du Rhin allemand, jetés capricieusement en réponse à la haineuse déclamation d’un obscur rimeur d’Allemagne. Cette fière et charmante réponse d’un poète qui ne se piquait guère de politique ne sauva pas Alfred de Musset en I8Z18, et n’empêcha pas qu’il ne perdît une pauvre petite place de bibliothécaire. Il est vrai que