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Mais de toutes les tentatives qui ont rempli cette carrière romanesque, la plus étrange peut-être, la plus incompréhensible est cette longue, verbeuse et insignifiante confidence que Mme Sand a appelée l’Histoire de ma Vie. Non pas que rien ici soit en contradiction avec les facultés de cet esprit; c’est plutôt l’excès d’une prédisposition native, c’est l’abus des divulgations intimes, ou, si ce n’était un si gros mot, on pourrait dire que c’est une sorte d’orgie de la personnalité exaltée et enivrée d’elle-même. Mme Sand ne s’est point aperçue que ses œuvres, comme les œuvres de toutes les femmes, où il y a souvent plus de réminiscences que d’invention, étaient ses mémoires les plus fidèles, et que, si tant est qu’elle éprouvât le besoin de se démasquer un peu plus, elle en avait dit assez dans les Lettres d’un Voyageur, — assez pour que nul regard curieux ne pût se méprendre, sans que ces aveux à demi voilés encore fussent dépouillés de toute poésie. Les Lettres d’un Voyageur n’ont pas suffi, et Mme Sand est allée mêler sa voix à ce chœur discordant de révélations, de confessions et de commentaires qui encombrent notre temps. Depuis quelques années, en effet, n’a-t-on pas vu se développer singulièrement cette littérature de mémoires? Qui n’écrit point ses mémoires aujourd’hui? Ce ne sont pas seulement les morts qui ont le privilège de ce genre de souvenirs d’autant plus précieux jusqu’ici qu’ils gardaient le caractère d’un témoignage posthume. Tout s’est perfectionné, la postérité est loin, et les vivans eux-mêmes s’arrangent pour assister à l’effet de leurs divulgations en prétendant se faire une sorte de postérité contemporaine. Il n’est plus d’ailleurs nécessaire d’avoir été mêlé aux affaires de son temps, d’avoir vu les hommes de près, d’avoir été initié aux secrets d’une société dans laquelle on a vécu, ou, en d’autres termes, d’avoir quelque chose à dire. Le procédé est plus simple : on rassemble quelques anecdotes qui ont couru le monde ou on raconte les révolutions du siècle, et quand on est tout à fait à la hauteur du genre, on écrit soi-même son odyssée. On livre à une curiosité indiscrète l’intimité du foyer, la dignité de la famille, les amours de son père ou de sa mère. On met ses contemporains dans la confidence de sa beauté, de ses goûts, de ses passions, de ses intérêts, de ses misères, et on dit à l’univers : Me voilà! Œuvre de puérile et grossière vanité, frivole autant que dangereuse pour des hommes, bien autrement dangereuse pour une femme, et même impossible au moins sous cette forme directe et nue d’une révélation personnelle.

C’était, au reste, une pensée conçue de bonne heure par l’auteur de l’Histoire de ma Vie, une pensée qui n’a rien gagné en vieillissant. Il y a longtemps déjà que sur cette idée de laisser des mémoires Mme Sand avait fondé je ne sais quelle combinaison qui devait lui survivre. Elle a vécu heureusement plus qu’elle ne le croyait