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tive, et jusque dans cette voie d’heureuse inspiration on sent l’affectation et le raffinement, on voit le sophisme qui s’attache à cette vaillante imagination. Avant d’arriver aux plus frais tableaux, il faut subir je ne sais quelle déclamation sur les oisifs, ou passer à travers les broussailles de je ne sais quelle dissertation sur la connaissance, le sentiment et la sensation. Fanchon Fadet elle-même, la petite vagabonde, avec son visage ingrat et son âme fière, avec ses mœurs de bohémienne et son esprit rare, n’est encore en son genre qu’un de ces types de femme supérieure caressés et adoptés par l’auteur. La Fadette sait tout, elle a le secret des plantes et des cœurs, elle exerce autour d’elle une sorte de magnétisme, et quand le soir, dans la traine qui longe la côte du Chaumois, elle essuie ses pleurs pour parler à Landry, pour se révéler à lui tout entière, est-on bien sûr de ne pas entendre une petite Lélia, ou, si l’on veut, une Consuelo devenue bergère? Et puis Mme Sand a cru sans doute se rapprocher du naturel et de la simplicité en dépensant des trésors d’érudition locale, en se façonnant pour ses fables champêtres un langage tout rustique : elle n’a réussi qu’à mieux faire sentir ce qu’il y a d’artificiel et d’archaïque dans ses créations, elle n’a fait que rendre plus frappant le contraste entre ces paysages, ces scènes, ces héros, ce langage, et les idées qu’on voit poindre à chaque instant. Les paysans de Mme Sand sont bien trop subtils pour être des paysans, ce qui ne veut point dire qu’ils aient un autre genre de vérité, qu’ils soient d’un autre monde vivant, et ce qui apparaît déjà dans la Petite Fadette devient bien plus palpable dans les Maîtres Sonneurs, cette pâle et triste suite des bucoliques nouvelles. On n’a plus que le Grand-Bucheux et Brulette, ces merveilleux joueurs de cornemuse qui notent la musique des vallées et des montagnes. Alors cette tentative apparaît telle qu’elle est réellement, comme une fantaisie raffinée et prompte à s’épuiser, comme l’effort capricieux d’un talent qui sent diminuer sa sève primitive, qui cherche artificiellement la simplicité, et ne la trouve qu’un moment pour retomber bientôt dans l’affectation et la monotonie.

Cela tient à bien des causes peut-être, aux habitudes d’esprit que l’auteur s’est faites, et aussi à la nature essentiellement personnelle de ce génie, on pourrait même dire d’une façon plus générale, à la nature du génie des femmes. On n’en est point à l’observer en effet, dans les lettres et dans les arts comme dans la vie, les femmes ont un génie qui leur est propre. Ce n’est point par l’intelligence en un certain sens, ce n’est point par la puissance abstraite de la réflexion et de l’étude, qu’elles conçoivent et qu’elles sont artistes : tout vient de l’instinct chez elles, tout se rapporte à un ordre particulier de facultés et d’impressions vives, délicates, personnelles. Elles excellent à raconter ou à peindre ce qu’elles ont vu, ce qu’elles ont senti;