Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Valentine, Lélia ou Fernande, c’est la passion libre, émancipée et couronnée. Tous les personnages de Mme Sand restent persuadés qu’en préparant le règne de l’amour, ou en commençant par pratiquer ses lois, ils travaillent vertueusement à une œuvre sociale. L’amour libre a un nom, mais ce n’est pas la vertu ni même la passion.

Il est impossible de ne point remarquer dans tous ces personnages enfans de l’imagination de Mme Sand une absence complète de noblesse morale. Ils ont l’ardeur effrénée, ils marchent droit au but avec une impétuosité singulière; ils n’ont pas le sentiment élevé, ils n’ont au fond rien d’idéal. On n’aurait pu saisir qu’imparfaitement la cause de ce fait à l’origine; on l’aperçoit clairement aujourd’hui à la lumière de l’Histoire de ma Vie. C’est que la passion dont l’auteur de Lélia s’est fait le peintre éloquent n’est encore, à tout prendre, que la passion du XVIIIe siècle, qui n’avait rien de noble ni d’élevé. Mme Sand tient pour ainsi dire par toutes les fibres à cette époque. Elle n’a voulu laisser ignorer aucun détail de sa filiation. Qu’on se rappelle d’abord qu’elle remonte à la belle Aurore de Kœnigsmark et au roi de Pologne Auguste II, unis, comme chacun sait, par un commerce des moins légitimes[1]. Au premier degré, en suivant cette ligne capricieuse, on trouve le maréchal de Saxe qui s’oublie lui-même un moment, dans ses fréquentes distractions, avec une comédienne du temps, Mme Verrières, tout exprès sans doute pour laisser un poète dans sa descendance assez nombreuse et assez mêlée. Mme Sand n’est séparée en effet de son aïeul Maurice de Saxe que par deux générations à peine, son père et sa grand’mère, Mme Dupin de Francueil, fille de Mme Verrières. Cette grand’mère, qui n’est morte que sous la restauration, est vraiment un type du XVIIIe siècle; elle en a les élégances, l’esprit et la supériorité, ou, si l’on veut, la liberté mondaine. Elle avait de l’aristocratie et de la frivolité, elle était incrédule, indulgente pour tout, hors pour les mésalliances, royaliste d’ailleurs, et elle cachait dans ses coffrets de petits vers obscènes contre la reine Marie-Antoinette. C’est un type merveilleusement reproduit, peut-être à l’insu de l’auteur, dans un personnage de Valentine, dans cette vieille marquise de Raimbault, sceptique du beau monde qui date de la Du Barry, croit surtout au plaisir, et recommande en mourant à sa petite-fille de ne prendre que des amans de qualité. Mme Sand a une autre parenté avec un cousin qu’elle traite d’évêque, et qui est le fils du mari de sa grand’mère, de Francueil et de Mme d’Épinay, la célèbre amie de Grimm. L’auteur d’Indiana, on le voit, plonge par toutes les racines dans cette époque. Il s’ensuit qu’à côté de la généalogie du sang il y a une généalogie

  1. À ce sujet, on fera bien de consulter les études curieuses de M. Henry Blaze qui ont paru sur Aurore de Kœnigsmark dans la Revue du 15 octobre 1852, et sur le Dernier des Kœnigsmark dans la livraison du 15 mai 1853.