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nos yeux, et qui nous aurait atteints dans notre bonheur, dans nos affections. Si la narration n’est pas toujours conçue avec toute l’habileté qu’on pourrait souhaiter, en revanche la conscience du lecteur est constamment satisfaite. Chacun, après avoir suivi le développement de sa pensée, sait à quoi s’en tenir sur la valeur des hommes dont les actions viennent de se dérouler sous ses yeux. Ni embarras, ni hésitation, ni doute, ni obscurité. M. Poirson parle des plus grandes choses avec simplicité, et la rectitude de son esprit n’est jamais troublée par le nombre ou l’éclat des événemens : heureux privilège des travaux entrepris dans la retraite, loin du bruit des affaires, achevés sans autre ambition que la connaissance de la vérité. M. Poirson, je n’en doute pas, a commencé l’histoire du règne d’Henri IV sans aucune idée préconçue. Il s’est souvenu de la parole de Quintilien : « On écrit l’histoire pour raconter, non pour démontrer. » Seulement il s’en est souvenu en homme qui possède les Annales aussi bien que les Institutions Oratoires, et qui ne comprend pas le récit sans moralité. On sent que dans sa pensée l’indifférence n’est pas moins coupable que l’ignorance. Réfléchir l’image du passé comme le fleuve réfléchit les arbres de ses rives n’est pas le rôle d’une créature intelligente.

L’époque choisie par M. Poirson est une des plus importantes de notre histoire, car c’est l’époque de la renaissance et de la réforme. Quoique le Béarnais ait régné de 1589 à 1610, quoique la renaissance, pour les chronologistes, commence en 1453 et la réforme en 1517, cependant la renaissance et la réforme jouent un grand rôle dans le gouvernement de Henri IV. Chose digne de remarque, et je ne suis pas le premier à le dire, en même temps que la renaissance ouvrait à l’esprit humain des perspectives nouvelles en lui révélant le secret de la sagesse et de la science antiques, en même temps que les prédications de Luther revendiquaient comme un droit sacré la liberté de conscience, la condition politique de la société, au lieu de faire un pas en avant, faisait un pas en arrière; le champ de l’intelligence s’élargissait, la liberté d’examen devenait familière à tous les esprits élevés, et cependant le gouvernement devenait de plus en plus absolu. L’avilissement des mœurs de la cour rendait encore plus odieuses les formes tyranniques de l’administration. M. Poirson, qui, avant d’écrire l’histoire du règne de Henri IV, a pris la peine d’étudier l’histoire entière de notre pays, n’a pas négligé ce point de vue. Pour lui. Dieu merci, la science ne commence pas au sujet qu’il traite aujourd’hui; il connaît l’origine des faits qu’il expose. Charles IX et Henri III lui sont aussi familiers que Henri IV, et lui permettent d’expliquer ce qui resterait obscur sans ces notions préliminaires. Il existe en effet une contradiction apparente