Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/332

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme je le souhaite sans oser l’espérer pour un avenir prochain, devenait une science populaire, si l’on se donnait pour la propager la peine qu’on se donne pour propager les notions de chimie et de mécanique, je crois pouvoir affirmer que la civilisation prendrait bientôt un autre cours. A l’heure où j’écris, tous les efforts sont dirigés vers le bien-être matériel. La mécanique et la chimie sont des moyens de fortune dont la puissance ne peut être contestée par personne. Ce qui manque à la société moderne, j’ai regret à le dire, c’est le sens moral. Je ne crois pas calomnier mon temps. Il existe encore parmi nous un petit nombre d’esprits chez qui le sens moral n’est pas complètement aboli; mais, s’il nous était permis de les compter, nous serions effrayés. Ceux qui s’applaudissent de leur condition, ceux qui obtiennent les suffrages, l’admiration du monde, n’ont aucun souci de la valeur morale des actions dont ils sont témoins. Qu’un homme réussisse par des moyens illégitimes, pourvu que son succès soit parfaitement avéré, ils ne songent pas à le blâmer. Le fait accompli s’élève à la hauteur du droit. Or l’étude attentive de l’histoire est le plus sûr moyen de ruiner l’opinion que je signale. Si le passé n’était pas ignoré du plus grand nombre, nous ne verrions pas ce que nous voyons chaque jour, la foule indifférente aux événemens qui s’accomplissent ; la connaissance du passé l’obligerait à comprendre le présent. La foule n’abandonnerait pas au hasard la solution des questions qui seraient posées; elle n’assisterait pas, le cœur tiède et indifférent, aux transformations du gouvernement.

Malheureusement l’histoire n’est pas aujourd’hui populaire. On s’est habitué à croire que l’étude du passé est une étude superflue. Ceux qui s’occupent des événemens accomplis sont rangés parmi les rêveurs; le présent absorbe l’attention de tous ceux qui se donnent pour sages; bien vivre et bien dormir sont l’idéal suprême. Tout ce qui s’éloigne de cet idéal ne mérite pas un regard. L’histoire ne peut rien pour notre bonheur présent; elle peut tout au plus nous enseigner la notion de nos droits. Que signifie l’histoire, comparée à la mécanique, à la chimie? Elle n’enseigne qu’à juger les actions humaines, et c’est un bien maigre profit. La mécanique et la chimie sont des sources de richesse, des sources fécondes, qui frappent tous les yeux d’admiration. Il ne faut pas parler d’histoire aux heureux du siècle. Qu’on ne s’y méprenne pas pourtant : la mécanique et la chimie ne régissent pas le monde; elles peuvent donner la richesse, mais elles n’ont rien à démêler avec le développement moral des nations, et la notion du droit, qui relève de la philosophie et de l’histoire, demeure aujourd’hui ce qu’elle était avant les progrès récens de la mécanique et de la chimie. Savoir ce qu’on doit faire, ce qu’on doit défendre, ce qu’on doit espérer, trois idées qui