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pour étendre ses idées, du commerce des livres et des hommes, on doit aimer à lui reconnaître une intelligence élevée, hardie, sincère, et ce courage de la conviction qui sait braver tout pour la vérité. M. Bordas Demoulin, peu connu du public, a un petit cercle d’admirateurs, ou plutôt de disciples, parmi lesquels nos lecteurs auront distingué M. Huet, dont la Revue a publié un travail remarquable.

Cette école est, on le pense bien, l’antipode de M. de Maistre. Elle est profondément mécontente de l’esprit qui semble dominer dans le monde religieux, et elle se croit fondée à défendre le christianisme contre l’église. Quelques écrits dignes d’attention ont manifesté son opposition, et, quoique rédigés avec négligence et singularité, ce sont d’intéressans mémoires pour servir à l’histoire des controverses du XIXe siècle.

Toute la philosophie, suivant M. Bordas Demoulin, est dans la question des idées, puisque l’homme ne pense que par elles. Lorsqu’on les ramène toutes aux sensations, on les annule ; lorsqu’on les croit toutes humaines, on n’est, comme Aristote, Kant ou Reid, qu’à demi philosophe ; lorsqu’on les croit toutes divines, avec Zénon ou Malebranche, on tombe dans le panthéisme. Le vrai, c’est qu’elles sont les unes divines, les autres humaines, ce qui est la doctrine de Descartes et ce qui devrait être la doctrine de l’église, en dépit de la scolastique. Par une erreur analogue à celle du panthéisme, l’église et la théologie ont professé depuis Constantin la théocratie. C’était l’effet d’une interprétation erronée du dogme de la chute de l’homme. Lorsque par suite d’une fausse théorie des idées on pense que l’homme est tombé d’un état de perfection surnaturelle, toute valeur de la nature humaine est anéantie, et les doctrines de tyrannie et de servitude absolues prévalent. Si l’on pense au contraire avec la vérité chrétienne que l’état de chute n’est que l’état de la nature corrompue, un amendement, un progrès, une délivrance est possible, grâce à l’intervention du Rédempteur, et l’histoire du christianisme peut être celle d’une lente émancipation de l’humanité. La doctrine contraire, dominante au moyen âge, a favorisé l’absolutisme par la théocratie et engendré une trompeuse assimilation du gouvernement de l’église aux gouvernemens temporels. Tout au contraire, ses pouvoirs sont d’une nature toute spéciale ; ils n’ont rien de commun avec les pouvoirs civils. Ce sont des pouvoirs purement spirituels. C’est pour avoir méconnu ces vérités que Maistre[1] a été conduit à de monstrueuses erreurs.

  1. C’est ainsi que M. Bordas Demoulin désigne son illustre adversaire, et il a raison malgré un usage contraire. Le comte de Maistre le remarque lui-même avec beaucoup de justesse : « La particule de en français, dit-il, ne peut se joindre à un nom propre commençant par une consonne, à moins qu’elle ne suive un titre. Ainsi vous pouvez