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de comparer cet ouvrage à l’Essai sur l’Indifférence, qui traite en réalité le même sujet, pour apercevoir la distance qui sépare M. de Maistre de son ancien émule. M. de Lamennais a fait un effort, malheureux il est vrai, pour établir philosophiquement le principe de l’autorité. M. de Maistre fonde sur des considérations empiriques ce qu’il y a de moins empirique au monde, l’infaillibilité. L’infaillibilité est en effet pour lui le synonyme de la souveraineté, et comme le pape est souverain, il est infaillible : tel est le fond de la doctrine. Or il faut se bien peu soucier de la rigueur et de l’exactitude pour établir, comme un point convenu et incontestable, que toutes les souverainetés étant tenues pour infaillibles, on ne demande pour le chef de l’église aucun privilège particulier; on demande seulement qu’il jouisse du droit commun à toutes les souverainetés. Il est trop évident que hormis peut-être en Asie, on n’a jamais pensé ni prétendu qu’aucun pouvoir souverain fût infaillible. L’orgueil des rois, la bassesse des courtisans ne sont jamais allés jusque-là. Tous les gouvernemens se sont trompés, l’histoire l’atteste, et la raison l’affirmerait à défaut de l’histoire; tous les pouvoirs humains peuvent se tromper, et tous se réforment, se rétractent, se démentent, quand la nécessité l’exige ou quand la raison les éclaire. Sans doute dans la législation, dans l’administration, dans les tribunaux, il faut bien des décisions définitives et dont on n’appelle pas. Les questions ne peuvent rester sans solution, les contestations ne peuvent être éternelles; il faut en finir. Res judicata pro veritate habetur, et puisque la chose jugée est prise pour la vérité, c’est qu’elle peut n’être pas la vérité, c’est que celui qui prononce n’est pas infaillible. S’il l’était, elle serait la vérité même; mais il suffit toujours ou presque toujours qu’elle soit tenue pour elle : c’est une fiction, c’est une convention utile au repos de la société. L’intérêt général la justifie dans la plupart des cas. Tout le monde consent que la cour de cassation juge définitivement; personne, pas même elle, ne la tient pour infaillible, et elle ne se fait aucun scrupule de réformer sa jurisprudence. La loi même, la loi, ce qu’il y a de plus auguste et de plus définitif dans les décisions des hommes, peut bien avoir droit à l’obéissance tant qu’elle reste loi : je ne veux pas même parler des cas extrêmes et rares où elle commanderait une telle iniquité qu’elle autoriserait la résistance; mais tandis qu’elle est en pleine vigueur, il n’est point d’état si absolu où quelqu’un n’ait le droit d’en conseiller ou d’en solliciter soit l’abrogation, soit l’amendement, et toute représentation contre la loi, fût-elle la plus humble et la plus modeste des prières, implique que le législateur n’est pas infaillible. M. de Maistre cite hardiment le parlement d’Angleterre, dont les publicistes vantent l’omnipotence, comme un pouvoir dont les actes portent le