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mens ne sont que des moyens dont il daigne se servir pour accomplir l’inconnu, quand on m’aura convaincu que tout conspire, le mal comme le bien, la faiblesse comme la force, pour un but mystérieux, je n’en aurai pas un indice plus sûr de ce que je dois, ou plutôt je saurai uniquement comme auparavant que je dois chercher le vrai, le juste, l’utile et le possible, prier le ciel de me le faire connaître par la raison et de me soutenir dans l’épreuve. Si la distinction admise par de grands esprits et par Bossuet lui-même entre ce que Dieu veut et ce qu’il permet est sans nul fondement, si Malebranche a tort et que Dieu fasse pour ce monde quelque chose de plus que de lui donner des lois générales, si non-seulement il embrasse tous les événemens du regard unique de son universelle prescience, mais encore les prépare, les amène, et dirige à la lettre le cours de l’humanité, il veut alors également les institutions stables et les révolutions passagères; il veut également qu’il y ait des nations catholiques, des nations protestantes, des nations infidèles, et les hommes, ne connaissant ses volontés qu’après qu’elles sont accomplies, ne peuvent en juger que par l’événement. Ne sachant comment s’y conformer, ils agissent en aveugles, et leur aveuglement les absout; mais quoi qu’ils fassent, ils travaillent toujours pour une bonne fin, qui est celle de Dieu, et ils lui obéissent encore en faisant le mal d’où son infinie sagesse a décrété de faire sortir le bien... Di meliora piis.

Là conduit l’abus de la pensée du gouvernement de la Providence, pensée qui n’est juste qu’autant qu’elle est générale. Dès qu’elle se particularise, elle ne met en lumière que notre profonde ignorance. Jamais cette ignorance ne se manifeste par des erreurs plus humiliantes que lorsque nous entreprenons d’expliquer le cours des choses par les desseins divins, ou le connu par l’inconnu. C’est nous exposer à rapporter en quelque sorte à Dieu tous les faits qu’enfante la fantaisie, la faiblesse ou la perversité des hommes. Oui, sans doute, le monde est sous le gouvernement de la Providence : c’est une croyance à laquelle la raison ne saurait rien objecter; mais il y a une témérité folle à risquer une conjecture sur les conditions, les formes, les détails de ce gouvernement. Prétendre reconnaître dans un événement l’action de Dieu et le motif de cette action n’est permis qu’à celui qui en aurait reçu la révélation. Il ne faut pas, ainsi qu’on le fait souvent, prendre les rapports qui résultent entre les choses de l’harmonie de l’ensemble comme des preuves spéciales d’une intervention actuelle et directe de la Divinité. Par exemple, il y a des relations entre l’ordre physique et l’ordre moral : s’il survient dans l’un des calamités, l’homme peut n’y pas demeurer indifférent, quoiqu’il appartienne surtout à l’autre; mais il serait vain d’imaginer qu’elles eussent l’homme pour but.