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imprudent vers les idées de celui qu’elle eût indigné, on ne relève d’une main ce qu’on détruit de l’autre, et l’on ne paraisse souscrire et protester à la fois. L’abandon des doctrines de M. de Maistre est de toute évidence une condition du rapprochement des esprits.

C’est à faciliter cet abandon, en soumettant ces doctrines à la critique, que peuvent servir les réflexions qui suivent.


II.

Les personnes qui avaient connu le comte Joseph de Maistre vantaient beaucoup sa conversation. De tous les éloges qu’il a reçus, ce doit être le plus mérité. Sa conversation devait être tour à tour élevée et piquante. Avec de fortes convictions, il s’amusait à jouer aux idées. La discussion suivie, mesurée, régulière, lui allait peu. Il n’aimait pas la méthode, et la méthode n’est guère de mise dans les entretiens du monde. Il préférait les traits aux raisonnemens, ne reconnaissait la vérité que sous les traits de l’hyperbole, et se plaisait à transformer en paradoxes jusqu’aux lieux communs. Sérieux, n’en doutons pas, dans ses opinions, il l’était moins dans sa manière de les défendre. Ses adversaires ne lui inspirant aucune estime, tout était contre eux de bonne guerre, et se croyant juste dans ses haines, il s’inquiétait peu de l’être dans ses accusations. Intolérant et irrité, il ne songeait qu’à se divertir et à se venger. Tout lui était bon pour la vérité, même l’erreur, pour le bien, même le mal, et mêlant la plaisanterie à l’indignation, les jeux de mots aux anathèmes, il devait séduire l’irréflexion par l’assurance, raffermir les croyances en les exagérant, les consoler de leurs disgrâces par l’invective, éblouir enfin des auditeurs déjà gagnés, en leur persuadant qu’il y avait beaucoup d’esprit dans leurs préjugés, et qu’ils étaient persécutés par des sots. La conversation peut être inexacte, superficielle, disparate, outrée, fausse, sans cesser d’être éloquente, et si la grâce de la personne relève encore celle des paroles, elle procure les plus grands succès qui soient accessibles aux gens du monde. Telle pouvait être la conversation du comte de Maistre, si elle ressemblait à ses ouvrages, et ses ouvrages ne m’ont jamais paru autre chose qu’une étincelante conversation. Sans me piquer d’être au-dessus de tout esprit de parti, je me crois pourtant capable d’en surmonter les préventions, au point de rendre justice au talent, à la conviction, à la puissance de raisonnement de mes adversaires. Je les ai lus de tout temps avec une sorte de préférence, et il m’est arrivé plus d’une fois d’être non-seulement ravi de leur talent ou touché de leur sincérité, mais encore ramené par eux, soit à modifier des opinions antérieures, soit à concevoir quelques doutes qui m’obligeaient à les raffermir par un nouvel examen; mais, je l’avoue, si j’ai parfois