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la législature actuelle, et qui aura été sans doute plus pratiquement utile qu’elle n’a été bruyante. Le grand-duc Constantin, qui débarquait récemment à Toulon et qui a visité nos établissemens maritimes de la Méditerranée, arrive aujourd’hui à Paris ; le frère de l’empereur de Russie va trouver les fêtes qui ont accueilli déjà depuis quelques années la reine d’Angleterre, le roi de Sardaigne, le prince de Prusse. En même temps de nouveaux chemins de fer viennent encore d’être inaugurés : il y a quelques jours, c’était celui de Chaumont, hier c’était la voie qui pénètre jusqu’au cœur de la Bretagne, jusqu’à Rennes. Par une sorte de compensation, s’il y a peu de faits d’un caractère politique, il s’élève depuis quelque temps toute sorte de polémiques de journaux. Il y a des polémiques sur les élections prochaines, et ceux qui provoquent ce qu’ils appellent les anciens partis ne voient pas qu’ils veulent trop prouver quelquefois. Il y a aussi des discussions sur les ascensions miraculeuses de saint Cupertin ; mais par-dessus tout il y a eu la grande polémique engagée par un journal anglais, le Times, ni plus ni moins que sur ce sujet, la décadence de la France. Le Times a étudié l’histoire trop réelle de nos révolutions, il a feuilleté notre code civil au chapitre des successions, il a mesuré la taille de nos conscrits, et il reste convaincu que tout s’en va dans notre pays, que la taille même des hommes diminue. Le journal anglais aura probablement oublié, il y a quelques années, de répondre à un livre écrit par un révolutionnaire français sur la décadence de l’Angleterre, et aujourd’hui, les élections le laissant libre d’ailleurs, il aura rédigé sa réponse sous la forme d’un chapitre sur la décadence de la France. Sans doute tout n’est point fait pour rehausser le cœur en certains momens de notre histoire, et il n’y a aucune raison pour nous de n’être pas modestes. Le Times ne voit pas cependant qu’il a en face un pays qui a trompé des yeux plus clairvoyans. La France a une merveilleuse ressource : c’est le don de traverser le feu, non sans se brûler, mais sans y rester ; c’est cette faculté d’évolution et de changement qu’elle possède plus que tout autre peuple, dont elle abuse souvent, et qui fait que, si elle tombe facilement dans le mal, elle s’en relève aussi aisément. Il y a une différence notable entre l’Angleterre et la France : la première sait tirer parti de tout, même de ses fautes ; elle sait se tromper, si elle y a quelque intérêt ; la France se trompe avec désintéressement, et tant qu’on ne lui aura pas ôté son esprit, qui est l’explication de sa supériorité et de ses mobilités, on n’en aura pas fini avec elle.

C’est ainsi que dans le mouvement des choses publiques, en dehors de tous les faits officiels, diplomatiques, économiques, administratifs, il s’agite toujours des questions qui touchent aux côtés les plus intimes de l’existence des peuples, et qui replacent en quelque sorte la politique sous la lumière de la philosophie et de l’histoire. De toutes ces questions, qui renaissent de temps à autre, qui passent dans les polémiques, toujours agitées et jamais résolues, l’une des plus sérieuses et des plus délicates peut-être est celle que pose un écrivain consciencieux, M. Dupont-White, dans un livre sur l’individu et l’état. L’auteur remue de nouveau ce problème sans l’éclairer d’un jour bien inattendu il est vrai, sans le dégager peut-être assez des obscurités d’une étude abstraite, mais avec talent et avec la sincérité d’un esprit qui cherche la vérité. Sans doute les rapports de l’individu et de l’état ne